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Pakistan/France une situation irréversible ?

UE veulent qu'il fasse plus contre le terrorisme

Le Pakistan pourrait rester sur la liste grise du GAFI alors que la France et les pays de l’UE veulent qu’il fasse plus contre le terrorisme. L’assemblée plénière du GAFI, qui est la plus haute instance décisionnelle de surveillance du financement du terrorisme, prendra sa décision finale sur le Pakistan.

Paris : Le Pakistan risque de rester pour l’instant sur la liste grise du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI), organisme de surveillance du financement du terrorisme basé à Paris.

Alors qu’Islamabad espérait sortir de la liste grise lors de la plénière de février en cours, la France, selon certaines sources, a recommandé le statu quo.

Selon des sources bien placées, d’autres pays européens soutiennent le point de vue de la France selon lequel le Pakistan devrait rester sur la liste grise jusqu’à ce qu’il respecte les 27 paramètres fixés pour réprimer le financement du terrorisme.

Alors que le Pakistan a rempli 21 paramètres, deux incidents récents – dont l’acquittement en janvier d’Omar Sheikh, le principal accusé dans la décapitation du journaliste américain Daniel Pearl en 2002, par la Cour suprême du Pakistan – ont affaibli la position d’Islamabad, selon des sources.

L’assemblée plénière du GAFI, qui est son plus haut organe de décision, prendra sa décision finale. Le Pakistan, selon les sources, aura probablement jusqu’à juin 2021 pour mettre en œuvre toutes les recommandations.

Le GAFI est une organisation intergouvernementale qui compte 37 nations, dont l’Inde, et deux organisations régionales comme membres.

La France est l’un des pays membres les plus influents au sein de l’Union européenne (UE) et exerce une influence considérable sur les décisions prises par l’Union ainsi que par l’ONU, où elle est membre permanent du Conseil de sécurité.

La position de la France sur le maintien du Pakistan dans la liste grise intervient dans une phase de refroidissement des relations bilatérales. Les commentaires du président Emmanuel Macron sur l’Islam l’année dernière – après qu’un enseignant ait été décapité dans le pays par un islamiste radical – ont suscité des critiques de la part des dirigeants pakistanais.

Le Pakistan n’a même pas nommé d’ambassadeur pour la France depuis huit mois.

Des sources dans les cercles diplomatiques pakistanais ont déclaré que la raison de la détérioration des relations bilatérales est “les accords économiques et de défense conclus entre Paris et New Delhi”.

Il a été annoncé après la dernière réunion plénière du GAFI en octobre 2020 que le Pakistan avait rempli 21 paramètres. Le pays s’est alors vu accorder un délai jusqu’à la plénière pour se mettre en conformité.

Cependant, deux événements récents ont suscité des inquiétudes, selon certaines sources. L’un est l’acquittement du Cheikh, qui a suscité des critiques de la part des États-Unis et des nations européennes, et l’autre, une prétendue menace de mort adressée au prix Nobel Malala Yousafzai sur Twitter par l’ancien porte-parole du Tehreek-i-Taliban Ehsanullah Ehsan. Le même groupe – connu sous le nom de Taliban du Pakistan – serait responsable de la tentative d’assassinat de Malala en 2012. Le terroriste aurait fui la garde du gouvernement l’année dernière.

Le GAFI, selon certaines sources, a également noté une “disparition soudaine” des noms de plus de 4 000 terroristes en vertu de l’annexe IV de la loi antiterroriste pakistanaise. La liste originale comportait 7 600 noms.

Les mesures prises par le Pakistan

Le Pakistan a été placé sur la liste grise, également connue sous le nom de juridictions sous surveillance accrue dans le langage du GAFI, en juin 2018. Il lui a été demandé par la suite de remplir les 27 paramètres.

Lors de la réunion plénière du GAFI en février 2020, le Pakistan s’est vu accorder quatre mois supplémentaires pour atteindre 13 des objectifs. En octobre 2020, en raison de la pandémie de Covid, le Pakistan s’est vu accorder un délai supplémentaire alors même que le GAFI saluait certaines des mesures prises par le gouvernement d’Imran Khan. Le GAFI a déclaré que le Pakistan avait gelé les comptes de plusieurs organisations proscrites et pris des mesures strictes à l’encontre des personnes qui leur sont associées.

Le Pakistan, a-t-il dit, a également pris des mesures strictes contre les organisations identifiées par le GAFI. Le gouvernement du Pendjab, a-t-il noté, a pris le contrôle de nombreuses écoles, Mudaris, hôpitaux, ambulances, dispensaires, laboratoires et de nombreuses autres institutions qui étaient gérées sous le patronage du Lashkar-e-Tayyeba et de ses fronts Jamat-ud-Dawa, et de la Fondation Falah-e-Insaniyat.

Le gouvernement pakistanais a nommé des administrateurs dans ces institutions, qui sont maintenant toutes sous le contrôle direct d’Islamabad. À cet égard, le Parlement du pays a modifié 15 lois.

Selon des sources au sein de la délégation pakistanaise au GAFI, il a pris des mesures pratiques et mis en œuvre la législation pour honorer les paramètres fixés.

Les autres raisons des divergences …

Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a récidivé en se projetant (via Twitter) en tant que “protecteur de la foi” et “champion du monde musulman” : “C’est un moment où le président Macron aurait pu mettre une touche de guérison & refuser l’espace aux extrémistes plutôt que de créer davantage de polarisation et de marginalisation qui mène inévitablement à la radicalisation.”

“Il est regrettable qu’il ait choisi d’encourager l’islamophobie en s’attaquant à l’islam plutôt qu’aux terroristes qui commettent des violences, qu’il s’agisse de musulmans, de suprémacistes blancs ou d’idéologues nazis. Malheureusement, le président Macron a choisi de provoquer délibérément les musulmans, y compris ses propres citoyens, en encourageant l’affichage de caricatures blasphématoires visant l’islam et notre prophète PBUH.”

“En s’attaquant à l’islam, clairement sans en avoir la moindre compréhension, le président Macron a attaqué et blessé les sentiments de millions de musulmans en Europe & dans le monde. La dernière chose que le monde souhaite ou dont il a besoin est une polarisation accrue. Les déclarations publiques basées sur l’ignorance vont créer plus de haine, d’islamophobie & d’espace pour les extrémistes.”

Appels au “djihad” contre la France – et “hypocrisie” du Pakistan

Quelques heures plus tard, le président turc Erdogan a suivi, déclarant lors d’un discours : “Quel problème cette personne appelée Macron a-t-elle avec les musulmans et l’islam ? Macron a besoin d’un traitement sur le plan mental”. Et, de retour au Pakistan, simultanément, Khadim Hussain Rizvi, fondateur et président de Tehreek-e-Labbaik Pakistan, appelait au “djihad” contre la France sur les médias sociaux : “La France vous défie. Déclarez le djihad”, a-t-il été entendu dire.

Justification de la décapitation à Paris

Imran Khan a écrit à Facebook, en fait, juste pour accuser les autres pays d'”islamophobie” et pour demander l’interdiction des contenus jugés “offensants” à l’égard des musulmans. Mais les autres n’ont pas le droit de s’offusquer d’être régulièrement insultés (ou tués) par ses compatriotes, apparemment.

Cette campagne a commencé il y a moins d’un mois, lorsque l’incendie de drapeaux français, les appels au djihad et les discours de haine au Pakistan, “approuvés” par Imran Khan et son ministre des affaires étrangères Shah Maqmood Qureshi, ont apparemment “abouti” à l’agression au couteau de deux journalistes devant les anciens locaux du magazine satirique Charlie Hebdo. Après cela, un autre islamiste a décapité un professeur d’école, Samuel Paty, qui montrait les caricatures de Charlie Hebdo à ses élèves.

Quelques jours plus tard, à Montpellier, les caricatures sont apparues, en signe de protestation contre les actes de poignardage et de décapitation, sur des bâtiments gouvernementaux. Et le président Macron a annoncé un durcissement des lois pour lutter contre ce qu’il a appelé le “séparatisme islamiste”, afin de défendre les valeurs laïques du pays.

Alors qu’un musulman français du nom de Karim Akouche a écrit : “Arrêtez de m’appeler frère” dans une “Lettre ouverte au soldat d’Allah” pour défendre les valeurs du pays où il est né, de nombreuses personnes ont réagi en disant : “Charlie Hebdo a offensé et provoqué les musulmans – et Macron aussi”. Pour eux, apparemment, poignarder et tuer n’est qu’un “rachat malheureux” et une “conséquence évidente” – “arrêtez de le faire, donnez-leur ce qu’ils veulent et tout ira bien”.

Laïcité européenne et valeurs de la Révolution française

Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que la France est un pays laïque ; l’Europe est une entité laïque. Une entité où les gens se sont battus pour ne pas inclure les “racines chrétiennes” de l’Europe dans une quelconque déclaration. Où “laïque” signifie que pour l’État, il n’y a pas de chrétiens, de musulmans, de juifs, de bouddhistes ou autres, mais seulement des citoyens. Et ces citoyens sont censés respecter la Constitution et la loi – et où ils sont liés par les mêmes règles.

Si vous demandez un traitement spécial en raison de votre religion, vous avez tout faux. “Mes chers compatriotes, la bataille pour la République est, en ce moment, la bataille pour la laïcité” – c’est ainsi que le Macron s’est adressé au pays début septembre, à l’occasion du 150e anniversaire de la Troisième République française.

Par la même occasion, Macron a fait de nombreuses références au procès de Charlie Hebdo, qui venait de commencer, et aux valeurs de la république, les valeurs héritées de la Révolution française, les valeurs qui devraient et doivent être partagées par tout citoyen du pays, ou tout invité.

Liberté, égalité et fraternité : aucune d’entre elles, selon Macron, n’est possible sans la laïcité et la liberté d’expression. Et il a tout à fait raison.

La “bataille” de la laïcité

La bataille pour la laïcité, la bataille pour les valeurs partagées par toute l’Europe, les valeurs de la Révolution française, les valeurs partagées pratiquement par tous les pays européens ne sont PAS négociables. L’Europe garantit et protège la liberté de religion, la liberté d’expression et la non-discrimination sur une base religieuse ou raciale.

Si vous n’aimez pas un dessin animé ou un film, il suffit de ne pas l’acheter ou le regarder. Des batailles ont eu lieu par le passé, tant en France qu’en Italie, contre des films et des dessins satiriques visant l’Église catholique – des milliers de dessins représentant la Vierge Marie ou Jésus-Christ de manière “blasphématoire”.

L’Église catholique a tenté de les arrêter (non pas en poignardant qui que ce soit mais en utilisant les tribunaux) et a régulièrement perdu ses batailles.

Ce qu’Imran Khan, Erdogan et Rizvi ne comprennent pas, c’est que les Européens peuvent ne pas être d’accord avec l’humour grossier de Charlie Hebdo, mais qu’ils feront tout pour protéger leur liberté d’expression et leurs institutions laïques et démocratiques.

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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