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Violence sur mineur : des souffrances parfois mal connues

Comment éviter qu’ils ne développent un stress post-traumatique

Améliorer les soins aux mineurs victimes de violences sexuelles est une urgence humanitaire. Pour éviter qu’ils ne développent un stress post-traumatique, empêcher l’installation de lourdes conséquences physiques et psychiques, mais aussi pour enrayer la reproduction des violences, de proche en proche et de génération en génération.

« La violence sexuelle est une bombe à retardement. Quand elles ne sont pas tuées ou blessées sur le champ, les victimes se consument à petit feu », observe Violaine Guérin, endocrinologue, gynécologue et fondatrice de l’association Stop aux violences sexuelles (SVS).

Car leur calvaire ne s’arrête pas une fois que leur agresseur a tourné les talons. En plus des horreurs vécues, elles subissent ensuite de graves conséquences physiques et psychologiques, parfois tout au long de leur vie. C’est ainsi qu’« avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est l’un des déterminants principaux de l’état de santé, même cinquante ans après », assure la psychiatre et psychothérapeute Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

Le cerveau disjoncte : un mécanisme de sauvegarde qui peut devenir un danger

D’abord, le risque de développer un syndrome de stress post-traumatique est particulièrement élevé : 87% lorsque les violences sexuelles ont eu lieu dans l’enfance, 100% lorsqu’elles sont incestueuses, contre 24% pour l’ensemble des traumatismes. C’est que, pour nous permettre de survivre à des événements incompréhensibles, inassimilables, notre cerveau “disjoncte”. Ce mécanisme de sauvegarde exceptionnel a un prix : celui de l’installation d’une mémoire traumatique enkystée qui menace d’exploser à tout moment. « C’est une plaie béante qui ne cicatrise pas. On peut la recouvrir par d’épuisantes conduites d’évitement ou d’hypervigilance (d’où des TOC, des phobies, des angoisses…) ; l’anesthésier en se dissociant encore et encore (par des mises en danger, des drogues, de l’alcool, en reproduisant soi-même la violence). Mais tant qu’elle n’est pas correctement soignée, la plaie est toujours susceptible d’apparaître au grand jour », précise Muriel Salmona. « Outre l’âge de la victime, le type de traumatisme, la durée et la répétition sont des facteurs qui détermineront la gravité du traumatisme », écrit la sexologue et gestalt-thérapeute Fernande Amblard (auteure de Panser l’impensable, Jouvence éditions). Pour autant, ajoute-t-elle, « l’importance des dégâts n’est pas prévisible : il se constitue une alchimie entre l’objectivité du traumatisme et la façon dont la victime y répondra. La créativité des enfants pour survivre au traumatisme, pour se construire une vie à eux, envers et contre tout, est parfois étonnante ». Même s’ils sont rares, certains parcours témoignent en effet de bouleversantes résiliences.

Des troubles de l’identité qui faussent le rapport au monde des victimes

« Alors qu’un adulte agressé a des points de comparaison entre un “avant” et un “après” les événements traumatisants, un enfant n’a aucune référence stable sur ce qu’il était et sur ce qu’il voulait devenir », reprend Muriel Salmona. D’où de graves troubles de l’identité. Qui est-il vraiment ? Un moins que rien qui a peur de tout, déconnecté pour survivre, absent de lui-même ? Un coupable qui mérite la mort (ce que l’agresseur a mis en scène et qu’il finit par intégrer puisque cela tourne en boucle dans sa tête) ? Un monstre qui pourrait devenir violent et qu’il faut sans cesse contrôler ? « La vie peut devenir un enfer, avec une sensation d’insécurité, de peur et de guerre permanente », relate la psychiatre. Sous emprise de son agresseur, n’ayant plus de repère sur ce qui est « normal » ou pas, ce qu’il a le droit de sentir, de dire ou de penser, l’enfant ne peut en outre acquérir aucune confiance dans son propre jugement ni dans ses sensations. Son rapport au monde est faussé. Des modifications de la structure du cerveau sont même visibles par IRM : chez les femmes ayant été victimes dans l’enfance, les aires corticales correspondant aux zones touchées par les violences (génitales, anales, buccales) sont significativement diminuées (The American Journal of Psychiatry, juin 2013) ! La mémoire traumatique annihile aussi, peu à peu, les ressources de la victime. De plus en plus fragile et dissociée, elle est d’autant plus susceptible d’être à nouveau agressée. Ainsi, 81% des adultes victimes de violences sexuelles à répétition étaient mineurs au moment des premières agressions. Un sur deux avait même moins de 11 ans [1].

Des souffrances psychiques et physiques qui se superposent et se “chronicisent”

Mais cela ne s’arrête pas là. Car « il n’y a pas de barrière étanche entre les dégâts psychologiques engendrés par les violences sexuelles et les désordres somatiques qu’elles entraînent », note Jean-Louis Thomas, endocrinologue ayant compilé les études internationales pour l’association SVS [2]. D’abord parce qu’« il est évident que les troubles comportementaux liés aux violences retentissent sur la santé physique : troubles du comportement alimentaire, comportements sexuels à risque, addictions, automutilations ». Par exemple, le risque de cancer du poumon s’explique par un tabagisme accru ; celui de cancer du sein par la difficulté qu’ont les femmes victimes de se faire dépister régulièrement. Sans oublier, bien sûr, les conduites suicidaires : «  Le risque de tentative de suicide est sept fois plus élevé chez les victimes de violences sexuelles [3] », rappelle Muriel Salmona.

Les troubles gastro-intestinaux (en particulier le syndrome du côlon irritable), les migraines et les fibromyalgies seraient ainsi deux fois plus fréquents chez les adultes ayant subi des sévices sexuels dans l’enfance. Globalement, les douleurs musculaires et articulaires, les troubles neurologiques (vertiges, bourdonnements d’oreille, étourdissements…) et gynécologiques (douleurs pelviennes chroniques, syndromes prémenstruels, fibromes…) sont nettement plus importants chez les anciennes victimes. Une enquête américaine a par ailleurs mis en évidence « un risque significativement augmenté de 21% d’avoir un cancer à l’âge adulte » [4]. Sans compter que, comme toute situation génératrice de stress, les violences sexuelles augmenteraient aussi les risques d’obésité, de diabète, d’hypertension artérielle et de maladies cardio-vasculaires. Des conséquences sur la santé physique si importantes que l’espérance de vie des victimes peut diminuer de 20 ans si aucun soin spécifique n’est apporté et si plusieurs violences sont associées ! « Récemment, ajoute Muriel Salmona, des altérations épigénétiques ont aussi été mises en évidence. Un gène impliqué dans le contrôle des réponses au stress et de la sécrétion des hormones de stress (adrénaline, cortisol) serait ainsi modifié et possiblement transmis à la génération suivante. »

En plus d’être un drame humain, « les violences sexuelles constituent ainsi un problème majeur de santé publique », confirme la sénatrice Michelle Meunier, rapporteuse avec sa collègue Muguette Dini de la toute récente loi sur la protection de l’enfance (voir Ce que dit la loi). « Or, souligne Muriel Salmona, faute d’être reliés au traumatisme, ces divers troubles sont la plupart du temps, et parfois pendant des dizaines d’années, traités isolément, sans prendre en compte la cause originelle. N’étant pas soignés, ils se “chronicisent” et débouchent parfois sur de lourds handicaps. »

Enrayer l’engrenage infernal de la reproduction des violences sexuelles

Oui, la violence sexuelle est grave, fréquente et a des conséquences délétères sur la vie amoureuse, sociale, familiale, scolaire et professionnelle. Mais elle est aussi contagieuse, transmissible de proche en proche, de génération en génération. Par imitation, d’abord « certains enfants ont tellement été amenés à banaliser la sexualité coercitive qu’ils la perçoivent comme allant de soi », écrit le sociologue Michel Dorais, auteur d’une enquête sur les violences sexuelles au masculin [5]. Par vengeance (« quelqu’un doit payer ») ou pour « réparer le passé en inversant les rôles » mais aussi parce que « reproduire les violences qu’on a subies sur d’autres enfants est terriblement efficace pour s’anesthésier émotionnellement, tenter d’échapper à sa mémoire traumatique, et écraser la petite victime qu’on a été et que l’on méprise », constate Muriel Salmona. Certains perpétuent ainsi l’engrenage infernal. Parfois, sur d’autres enfants, un agresseur de mineur sur quatre l’étant aussi [6].

D’autant que, explique la psychiatre, « certains vivent ces images intrusives dans la honte, l’incompréhension et la peur. D’autres les transforment en des fantasmes sadiques ou masochistes. Une minorité, mais suffisamment pour que la violence se perpétue », constate-t-elle. « Les traumatismes liés à l’agression sexuelle agissent ainsi comme des apprentissages » chez les jeunes, précise Michel Dorais. D’abord parce qu’ils surviennent à des périodes clés de leur construction, où leur identité, leur perception de leur corps, de la relation à l’autre, de l’attachement, de la confiance, de l’amour et de la sexualité est en construction. Mais aussi parce qu’ils créent des liens cognitifs durables dans leur cerveau très malléable. « L’agression subie leur a fait connaître des émotions, des sensations, des gratifications, des répulsions et des angoisses qui feront désormais partie de leur expérience de vie et de leur perception de la réalité. »

« Trop souvent aussi, leur vie est émaillée d’échecs sur le plan professionnel, familial ou conjugal, ajoute Fernande Amblard. Parce que les victimes sont privées de leur ressenti, elles sont aussi privées de discernement, et leur choix conjugal risque d’être mal orienté : elles ne repéreront pas, chez la personne dont elles tombent amoureuses, des comportements pervers à leur égard ou/et à l’égard de leurs enfants. »

Parce qu’elles n’ont pas appris à dire non, à poser leurs limites avec clarté et conviction.
Parce que celles-ci – psychiques et corporelles – ont été niées et violées.
Parce qu’elles se sont construites dans le bourbier de l’emprise perverse.
Pour toutes ces raisons, une ancienne victime désormais adulte peut aussi ne pas voir « qu’il se passe avec [ses] enfants la même chose qu’il s’est passé avec elle », conclut la thérapeute.
Or, c’est aussi comme cela que la violence sexuelle se reproduit de génération en génération.

Les violences sexuelles sur mineurs en chiffres

Un rapport du Sénat datant de 2018 confirme ainsi la difficulté d’évaluer le nombre de violences sexuelles subies par les mineurs. “Comment estimer, à l’échelle nationale, la prévalence des violences sexuelles vécues par les mineurs ? Peu dénoncées, elles restent difficiles à quantifier”, admettent les rapporteurs dans ce document, ajoutant que “les données statistiques sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs sont peu nombreuses, soumises à d’importants biais d’interprétation et difficilement comparables entre elles.” Si l’on s’en tient aux chiffres du ministère de l’Intérieur, on recense effectivement un peu plus de 7 000 plaintes (auprès de la police et de la gendarmerie) pour viols sur mineurs en 2019. Dans une enquête de l’Ined sur la population, menée en 2015, on apprend ainsi que près de 40% des viols ou tentatives de viols déclarés par les femmes avaient lieu avant l’âge de 15 ans. Pour les hommes, le taux monte à près de 60%. Plus spécifiquement, un quart des femmes et un tiers des hommes interrogés dans cette étude ont expliqué que ces faits avaient débuté avant l’âge de 11 ans. On estime enfin, selon les données du Ministère de l’Intérieur que le pic de violence sexuelles chez les filles est atteint entre 10 et 15 ans. Chez les garçons, ce pic est évalué à 6 ans et décroît ensuite.
Parler de pédocriminalité plutôt que de pédophilie

Ces violences sexuelles sur mineurs, qu’il s’agisse d’abus sexuels, de viols ou de pédopornographie, sont souvent résumées par le terme de “pédophilie”. Or, dans la loi, le terme “pédophilie” n’existe pas.

Il s’agit d’une notion inventée par les psychiatres et rentrée dans le langage courant, mais beaucoup d’associations militent pour privilégier le terme de “pédocriminalité”. En effet, “le mot pédophilie masque le réel des violences sexuelles. À l’évidence, les viols et agressions sexuelles ne relèvent pas de l’amour mais de son contraire, la violence”, déclarait ainsi au Parisien le juge des enfants du tribunal de grande instance de Bobigny, Édouard Durand. Cependant, ce terme de pédocriminel a du mal à être associé à un agresseur connu. Or, d’après un rapport sur la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, publié au nom de la commission des lois du Sénat, dans plus de 87 % des cas, le mineur connaissait le mis en cause. L’inconnu avec son grand imperméable dans le parc est donc loin de représenter la majeure partie des agressions. Pour 65 % des viols, il existait un lien d’amitié ou de connaissance avec le mis en cause : il peut s’agir d’un ami de la famille, d’un encadrant dans le milieu sportif (le patinage artistique a notamment été secoué ces dernières années par des affaires de violences sexuelles) ou dans le cadre scolaire.

L’inceste, un sujet tabou

Toujours selon ce rapport, pour 22 % des cas, un lien familial ou sentimental est établi entre la victime et son agresseur. Tabou parmi les tabous, l’inceste garde une place à part dans les violences sexuelles sur mineurs. L’inceste est le fait d’avoir des relations sexuelles avec un membre de sa famille. Dans la loi française, ce n’est pas une infraction en soi, mais l’inceste fait partie des circonstances aggravantes en cas de violences sexuelles par exemple, et peut faire l’objet d’une peine complémentaire comme le retrait de l’autorité parentale. On parlera ainsi de viols ou d’agressions sexuelles aggravés quand ils sont commis par un ascendant (parents, grands-parents), un tuteur, oncles, tantes, beaux parents, frères et sœurs s’ils ont autorité de droit ou de fait. Le terme d’inceste n’apparait d’ailleurs dans la loi que depuis mai 2015.

La loi sur les violences sexuelles sur mineurs en France

A l’heure actuelle, en France, il n’existe pas d’infraction spécifique pour punir un viol sur un mineur. La minorité de la victime est une circonstance aggravante qui permet de durcir les peines. A titre d’exemple : un violeur encourt dix ans de prison lorsque sa victime est majeure et vingt ans quand la victime a moins de 15 ans.

D’ailleurs, la notion de consentement n’existe pas non plus en tant que telle dans le droit pénal. Pour prouver un viol, il faut établir au moins l’un des éléments suivants dans l’acte sexuel : la contrainte, la menace, la violence ou la surprise.

La contrainte peut être physique mais aussi morale. C’est une manière de prendre en compte la vulnérabilité des mineurs. Tous les textes législatifs français peuvent ainsi être consultés sur le site Légifrance, plus particulièrement dans la section Code pénal.

Pour vous y retrouver :

Viol : Articles 222-23 à 222-26 du Code pénal
Agressions sexuelles : Articles 222-27 à 222-31du Code pénal
Atteintes sexuelles : Articles 227-25 à 227-27 du Code pénal
Corruption de mineurs : Article 227-22 du Code pénal
Exploitation à caractère pornographique de l’image d’un mineur : Articles 227-23, 227-24 et 321-1 du Code pénal.

Mais les législateurs sont en train de s’emparer de ces questions et la loi pourrait bouger. Seuil de non-consentement à 15 ans ou à 18 ans, définition d’un “viol incestueux”, prescription prolongée… La proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles est ainsi en cours d’examen au Parlement. Dans ce dossier, vous pourrez ainsi retrouver tous les articles relatifs à ces violences sexuelles sur mineurs, qu’il s’agisse de témoignages, d’expertises de psychologues pour accompagner les victimes et leurs parents, ou des avancées dans la législation.

[1], [3] et [6] « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », association Mémoire traumatique et victimologie, mars 2015.
[2] Revue française du dommage corporel, 2015, confirmé par Violaine Guérin.
[4] Les Entretiens de Bichat, 2015.
[5] Ça arrive aussi aux garçons, l’abus sexuel au masculin (Payot, “Petite Bibliothèque”).

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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