David SCHMIDTPsychologie

Dossier : Violences sexuelles au sein du couple 2/2

Une souffrance dans l’ombre

Malgré la médiatisation de la notion de consentement, le couple reste un espace où les relations sont souvent basées sur des non-dits. En l’absence d’une prise de conscience collective, les victimes de violences sexuelles conjugales peinent à reconnaître comme telles, à se faire entendre… et à se reconstruire.

Sommaire

Se forcer, laisser faire ou céder : dans aucun cas, c’est consentir
La routine, pente glissante vers l’agression sexuelle
Un effet psychologique dévastateur
Lorsque le corps parle…
Se reconstruire après les violences

Que l’on soit en couple depuis quelques jours ou des années ne change rien : on a toujours le droit de refuser un rapport sexuel. Cela peut sembler une évidence, mais en 2020, ce n’est pas toujours compris. La vague #MeToo qui a déferlé sur la société en 2018 a mis en lumière la question du consentement dans les relations sexuelles. Le couple est resté à l’écart de cette mobilisation, et les relations sexuelles entre conjoints relèvent du domaine de l’intime. Pourtant, ces derniers ne peuvent pas faire abstraction des avancées de la société.

Se forcer, laisser faire ou céder : dans aucun cas, c’est consentir

« Quand on ne se connaît pas, il y a une distance, pointe Geneviève Parent, sexologue et psychothérapeuthe. Le consentement est moins évident dans le couple, justement parce qu’on est en couple. » Le fait que les partenaires se connaissent ne facilite pas toujours la qualité des relations sexuelles. Il semble que ce soit au contraire, et plus souvent qu’on ne le pense, la source de nombreux malentendus ou de concessions, deux euphémismes pour parler d’agressions, terme qui reflète mieux la réalité de la violence subie par certaines femmes au sein de leur couple.

Se forcer, c’est « faire quelque chose en fournissant un gros effort sur soi-même, en allant à l’encontre de son envie, de ses désirs », précise le dictionnaire Larousse. C’est ce qu’a fait Alice* pendant des années : « la sexualité a toujours été un problème, dès le début. L’amour était présent mais le plaisir non… C’était compliqué mais je voulais lui faire plaisir, même si c’était à mon détriment car je pleurais presque à chaque fois. J’ai continué pendant des années, je le faisais pour avoir la paix ».

Laisser faire est au cœur de la zone grise des violences sexuelles, puisque la femme pense ‘non’ sans le dire, et l’homme estime que puisqu’elle n’a pas dit ‘non’, c’est oui. Et on ne parle pas uniquement de viol : de nombreuses formes de laisser faire, jugées bégnines, n’en sont pas moins une violation de l’intimité. « Lorsqu’une femme me dit ‘mais il ne m’a pas violée, il m’a juste pris les seins’, illustre Geneviève Parent, je lui demande si elle en avait envie. Si la réponse est non, et qu’elle l’a dit, alors c’est une agression sexuelle. »

Face aux sollicitations de leur partenaire, qui peuvent tourner au harcèlement, certaines femmes finissent par céder. C’est ce qu’a vécu Aude : « [mon homme] demande à intervalles très réguliers, tous les jours ou tous les deux jours. Il soupire d’agacement en accusant mes refus. L’ambiance sur le moment, mais également le lendemain, est très tendue, je suis tétanisée de gêne et d’humiliation. Ce schéma se répète indéfiniment. De temps en temps, de peur de le perdre ou de voir l’ambiance tendue, je finis par accepter, mais je n’y prends aucun plaisir ».

Malgré une apparente acceptation, Aude cède et subit bien une forme de violence. Pour Jean-Claude Kaufmann, sociologue spécialiste des questions de couple, cela ne fait pas de doute : « si une femme a exprimé un refus et que l’homme insiste, se fout de l’avis de sa partenaire, cherche uniquement à satisfaire son plaisir et la force, il bascule au-delà de la ligne rouge ».

La routine, pente glissante vers l’agression sexuelle

En laissant leur conjoint satisfaire ses envies sans se préoccuper des leurs, les femmes espèrent préserver leur couple, voire leur famille. Car si elles séparent plus facilement désir et sentiment, les femmes ont l’impression que satisfaire leur partenaire est indispensable pour qu’il reste avec elles. « Il n’est pas évident de parler à son partenaire de sa baisse de désir, quand bien même elle est tout à fait normale dans la dynamique d’un couple, précise Jean-Claude Kaufmann. Les femmes préfèrent accepter même si elles trouvent ça pénible, car elles estiment que c’est une concession acceptable pour ne pas risquer de tout perdre. Sauf que si la situation s’aggrave, que l’on tombe dans le harcèlement, la violence, le pli aura été pris de ne rien dire, de se forcer et il sera difficile de sortir de ce piège. »

Le risque est d’autant plus grand qu’il est inévitable qu’une routine s’installe dans la vie conjugale, et dans la vie sexuelle. « Avec le temps, une chorégraphie s’installe, explicite Jean-Claude Kaufmann. On connaît son corps et celui de l’autre, une forme de communication s’instaure à travers des gestes. Mais elle ne doit pas empêcher les surprises ponctuelles et surtout les discussions. La routine ne peut devenir envahissante et on ne doit pas s’y limiter ». La routine ne vaut pas consentement.

« J’étais mariée depuis plusieurs années, les enfants étaient encore jeunes, et mon désir en berne par l’habitude et la lassitude, témoigne à ce sujet Amélie. Mon mari, “en manque”, avait instauré une espèce de rituel. En regardant le film policier du dimanche soir, il me demandait une fellation. Regarder le film en même temps me permettait de ne pas trop y penser, malgré mon manque de désir. » Avec le recul, et désormais divorcée, Amélie se dit « choquée » par ce qu’elle a vécu.

Un effet psychologique dévastateur

« Au fil du temps, pour cela et d’autres éléments, j’ai fini par me mépriser », conclut Amélie. Enfermées dans un schéma qui ne leur correspond pas mais dont elles ne savent comment s’extraire, les femmes victimes de violences sexuelles de la part de leur conjoint souffrent en silence. « Elles ont avant tout le sentiment de ne pas avoir été respectées, souligne Geneviève Parent. Elles se disent que si leur partenaire, l’homme qu’elles ont choisi, qui dit les aimer, avec qui elles ont construit leur vie, ne les respecte pas, c’est qu’elles ne valent pas grand-chose. Leur estime de soi est ravagée. »

Victime d’agressions sexuelles dans l’enfance et l’adolescence, Aude est encore fortement marquée par ce passé dans sa relation actuelle : avoir des relations sexuelles la dégoûte et la gêne, elle se sent humiliée et pourtant, elle culpabilise. « J’ai conscience qu’à 26 ans, je ne peux pas m’infliger cela toute la vie, dit-elle. Je ne peux pas non plus l’infliger [à mon homme]. Le problème vient de moi, ce qu’il n’a aucun scrupule à souligner. Oui, très certainement, encore existe-t-il des manières de le suggérer et d’en discuter… » Alors même qu’elle est victime, Aude n’est pas encore parvenue à s’extraire de cette situation : « je n’ai pas confiance en moi, mon bagage est lourd et, sincèrement, j’ai perdu goût à la vie en société mais surtout à la vie de couple. Je rêve de partir sans rien dire, m’isoler seule dans un endroit reculé et sans présence humaine. Je vois cela comme une échappatoire rassurante. »

Lorsque le corps parle…

La première histoire d’amour de Anna s’est mal passée : son partenaire, très demandeur, ne songeait qu’à son propre plaisir. Il n’hésitait pas à user du chantage affectif et à passer outre les gestes de refus de la jeune femme pour obtenir satisfaction. « J’étais totalement ignorante sur ce qui m’arrivait, raconte la jeune femme, qui avait 17 ans à l’époque et se décrit comme étant alors très ignorante sur le sujet. Le problème [lié à son manque de désir et de plaisir] est retombé sur moi et un grand questionnement sur ma sexualité a émergé : personne frigide, manque de libido… Il n’y avait aucune remise en question de la part de mon partenaire, sur sa sexualité à lui, puisque il était désireux, trouvait son plaisir, ça fonctionnait bien pour lui. Mon corps, lui, a parlé. J’ai commencé à faire des infections urinaires à répétition, rapidement suivies par l’apparition de vaginisme. »

Lorsque la femme n’arrive pas à exprimer son refus, le corps prend parfois le relai. Resserrement réflexion des muscles du vagin, le vaginisme peut être une réponse aux rapports forcés réguliers. Ces derniers deviennent très douloureux, ce qui renforce le cercle infernal de la non-envie de rapports. « Lorsqu’on a envie d’un rapport sexuel, on s’ouvre, fait remarquer Geneviève Parent. Naturellement, le vagin s’élargit et se lubrifie. Lorsqu’on ne veut pas de rapport, il est difficile que le corps réponde positivement malgré nous. Si une femme vient consulter pour vaginisme, je lui demande si elle a du désir. Ce n’est pas toujours lié, mais c’est évidemment une piste à ne pas négliger. »

Se reconstruire après les violences

Après la prise de conscience et la séparation, commence un long chemin de résilience. Marquée par sa première expérience sexuelle, Anna a continué à faire du vaginisme pendant plus de trois ans après avoir mis fin à son histoire. Aujourd’hui au clair sur ce qu’elle a vécu, elle garde de ce passé une attention particulière à la qualité de ses relations : « je vis désormais mal les rapports où il n’y a pas de donnant-donnant et de plaisir partagé. Je suis aussi très vigilante quant à l’influence psychologique que mon partenaire peut chercher à avoir sur moi au sujet de ma sexualité ».

Après 13 ans de mariage, Agathe a été victime d’attaques sexuelles nocturnes de la part de son mari, qui a cherché à profiter d’elle pendant son sommeil. Alors qu’elle l’a désormais quitté et qu’elle se considère comme étant encore en rémission, Agathe constate que « [sa] santé s’est progressivement améliorée. Je travaille toujours à ne plus attirer d’hommes violents. L’avenir me dira si j’en suis guérie ». Adèle peut en témoigner : il est possible de croire de nouveau en l’amour. Après « des années de calvaire », elle partage sa vie « depuis 2 ans avec un homme que j’aime et qui sait m’aimer, qui est au courant de ce que j’ai vécu, qui me respecte. On vient d’acheter une maison ensemble et on essaye de faire un enfant ensemble. C’est l’homme de ma vie, ma meilleure rencontre sentimentale ».

Comme toutes les victimes de violence, les femmes qui ont subi des agressions sexuelles au sein de leur couple restent marquées. Mais une fois qu’elles ont réussi à sortir de la spirale de la violence, elles cherchent à aller de l’avant, malgré tout. « J’ai fait le deuil des douleurs vécues dans cette relation, confie Amandine, mais il reste une situation non encore digérée. Je suis encore aujourd’hui sensible à l’idée que l’on puisse dire des choses sur moi sans que je puisse réagir, me défendre ou simplement répondre. Je suis très sensible à l’injustice et au harcèlement que peuvent subir des enfants ou des personnes sur le lieu de travail. J’avais 28 ans lorsque nous nous sommes quittés et ai mis 10 années à refaire à nouveau confiance à un homme. Entretemps, j’ai repris mes études et suis devenue psychanalyste il y a 12 ans. Comme quoi… tout peut servir. »

David SCHMIDT

Suite:

Dossier : Violences sexuelles au sein du couple 1/2

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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