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Les sous-marins : l’Australie fâche durablement la France

En rejoignant le pacte AUKUS et en annulant sa commande de submersibles français, l’Australie fâche durablement la France et se présente en nation ennemie devant l’Empire du Milieu. Tout en plongeant la tête la première dans un océan d’incertitudes qui pourraient bien couter cher.

Pourquoi est-ce important ?

Australie, Grande-Bretagne et États-Unis ont officialisé l’accord de collaboration AUKUS qui porte, entre autres, sur une collaboration afin de doter la marine australienne de sous-marins nucléaires. Un douloureux camouflet pour la France, qui avait signé un contrat de 90 milliards de dollars pour 12 submersibles avec l’Australie. Celui-ci tombe à l’eau suite à un communiqué de presse du président américain Joe Biden.

Si la France s’enflamme sur le « coup de poignard dans le dos » que représente l’annonce surprise d’un pacte tripartite USA-Grande-Bretagne-Australie (AUKUS) et la rupture d’un juteux contrat pour des sous-marins, le grand public et les médias australiens ont eux-aussi été pris au dépourvu. Et ils sont nombreux à s’interroger sur la pertinence tant du pacte AUKUS que de l’abandon du partenaire français pour moderniser leur marine.

Comment fâcher tout le monde en une leçon

Il faut dire que la question des sous-marins n’est pas nouvelle pour les Australiens. La flotte submersible existante, composée de six Collins à propulsion mixte diesel-électrique, a vieilli avant l’heure et est tellement sujette aux accidents que lui trouver un remplaçant semblait urgentissime, si le pays voulait maintenir le rang auprès de ses alliés, américains en premier lieu. Un enjeu qui, déjà, ne fait pas l’unanimité. D’autant que le budget alloué à ces nouveaux navires, estimé en 2019 à 50 milliards de dollars australiens, a grimpé jusqu’à 90 milliards après l’accord avec le constructeur français Naval Group. De quoi faire persiffler certains que les Français faisaient payer deux sous-marins pour en construire un, et que l’Australie aurait mieux fait de mettre en concurrence deux armateurs, dont un Japonais par exemple, afin de les contraindre à réduire leurs prix. Pourtant, l’offre française avait pour elle de livrer des engins complets, basés sur la classe nucléaire Suffren mais adaptés aux désidératas australiens qui réclamaient une propulsion classique, le secteur nucléaire du pays étant peu développé. Et même de les construire en Australie, ce qui restait un bénéfice pour l’économie locale.

Avec ce volte-face propulsif, le gouvernement australien s’attire donc à la fois l’ire de la France qui se sent trahie, des écologistes nationaux qui s’indignent du choix nucléaire, et de la Nouvelle-Zélande, pays opposé à l’énergie atomique qui a déjà annoncé qu’elle ne voudrait pas de ces vaisseaux dans ses ports et ses eaux nationales. Sans oublier la Chine, premier partenaire économique de l’île-continent, qui considère – à juste titre- AUKUS comme une alliance contre elle.

Tirer la queue du dragon puis attendre des renforts

« En réalité, ce nouvel accord est très mince », souligne Katharine Murphy, chroniqueuse politique pour l’édition australienne de The Guardian. « Le ‘partenariat pour toujours’ de Morrison [le Premier ministre australien ; ndlr] se résume pour l’instant à une poignée de main et à un acronyme bizarre. C’est un accord pour déterminer dans 18 mois si un accord peut être poursuivi ou non. Les coûts ? Non divulgués, mais astronomiques. (Morrison nous a dit gaiment cette semaine que les dépenses de défense étaient un ascenseur qui ne ferait que monter). Livraison ? Un sous-marin dans l’eau d’ici 2040 – peut-être – en supposant que cette part significative du financement de la défense ne soit pas un bâclage roulant, ce qui serait une supposition osée étant donné l’histoire de ce pays. Et comme notre plan d’autodéfense provisoire se résume à des vaisseaux de classe Collins rafistolés et à des visites plus fréquentes de nos amis lourdement armés, il ne nous reste plus qu’à espérer que la Chine soit assez généreuse pour tenir notre bière jusqu’à l’arrivée de nos armes létales. »

L’Australie se retrouve donc à attendre le bon vouloir d’alliés qui n’ont pas que ça à faire pour voir un jour 8 sous-marins nucléaires de classe indéterminée, mais de toute évidence bien plus complexe à maintenir opérationnels, et elle ne sait même pas combien cela va lui coûter. Pendant ce temps, le dragon chinois est furieux. Pour Mme Murphy, le seul élément positif qu’on puisse espérer de ce nouvel accord à court terme, c’est que son pays se fera peut-être gentiment mettre la pression par l’administration Biden sur les enjeux climatiques. Scott Morrison n’ayant en effet exprimé que dédain devant les derniers rapports alarmants du Giec et ne jurant que par le charbon. Mais s’il envisage finalement de faire entamer à son pays un virage des énergies fossiles vers le nucléaire – très controversé down under – commencer par le secteur de l’armement n’est pas la méthode la plus évidente pour apaiser les esprits.

Contrat des sous-marins : « Un coup de couteau dans le dos » de la part de ses alliés pour la France

La France est furieuse de voir les USA agir dans son dos, au mépris de ses contrats en cours comme de ses positions stratégiques. Joe Biden se prend une volée de bois verts de la part des médias français sur l’affaire des sous-marins, et Paris ne semble pas prêt de lui pardonner. Au risque de faire capoter de futurs accords de coopération.

Pourquoi est-ce important ?

Australie, Grande-Bretagne et États-Unis ont officialisé l’accord de collaboration AUKUS qui porte, entre autres, sur une collaboration afin de doter la marine australienne de sous-marins nucléaires. Un douloureux camouflet pour la France, qui avait signé un contrat de 90 milliards de dollars pour 12 submersibles avec l’Australie. Celui-ci tombe à l’eau sur un communiqué de presse du président américain Joe Biden.

Un geste à la Trump

À Paris, il n’y a pas de mots trop forts pour qualifier la manœuvre : en proclamant l’accord de collaboration AUKUS de manière unilatérale, la France a appris par voie de presse que trois de ses -supposés solides- alliés préféraient se passer d’elle dans leur stratégie face à la Chine dans la zone Indo-Pacifique, tout en balayant au passage un accord commercial qui devait être « le contrat du siècle ». Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian enrage: « Cette décision unilatérale, brutale et imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump. Nous avons appris brutalement par une déclaration du président Biden que le contrat que les Australiens ont signé avec la France est terminé et que les États-Unis vont faire une offre de sous-marins nucléaires aux Australiens. » Pour le ministre, la seule nuance entre la communication internationale de l’ancien président américain et celle de son successeur, c’est que les tweets ont cédé la place aux conférences de presse.

Parfum de trahison

L’Hexagone a été mis devant le fait accompli : les Australiens font une croix sur un contrat portant sur 12 sous-marins Shortfin Barracuda à propulsion mixte diesel-électrique, une variante de la classe Suffren, nucléaires, conçue pourtant spécialement pour eux. Et ils optent plutôt sur l’expertise anglo-américaine pour passer finalement à une flottille à propulsion nucléaire. Résultat : le constructeur français Naval Group se voit privé d’un « contrat du siècle » pesant 90 milliards de dollars australiens, soit 56 milliards d’euros. Le ministère français de l’Économie relativise, évoquant pourtant une somme qui représente 10% du chiffre d’affaire de l’entreprise et 650 ingénieurs qui devront être redéployés sur un autre chantier… Mais dans le secteur diplomatique, on ne décolère pas : « C’est un coup de poignard dans le dos. Nous avions établi une relation de confiance avec l’Australie, et cette confiance a été trahie » assène Jean-Yves Le Drian.

La fin de 240 ans de collaboration navale ?

Du côté de Washington, on semble pantois devant la furia francese : une source anonyme au sein de l’administration américaine évoque pourtant une tentative d’informer les Français quelques heures avant la proclamation de Joe Biden, mais sans arriver à les joindre assez vite. Ceux-ci nient en tout cas qu’il y ait eu le moindre préavis, et la diplomatie française a annoncé l’annulation d’un bal devant se tenir à Washington en l’honneur des 240 ans de la bataille navale du cap Henry, qui symbolise l’aide de la France dans la lutte des États-Unis pour leur indépendance, en 1781.

Après 240 ans de coopération navale, cette affaire risque bien de porter un coup irréparable aux relations entre les États-Unis et la France, celle-ci étant furieuse de se voir chassée du premier plan dans toute stratégie commune dans l’océan Pacifique. L’Hexagone maintient pourtant une puissance navale bien tangible dans ces eaux, et pèse de tout son poids pour impliquer l’ensemble de l’Europe dans la région derrière une stratégie commune impliquant, justement, une collaboration accrue avec des acteurs locaux telle que l’Australie. Mais après cette manœuvre tripartite anglo-saxonne, il y a fort à parier que Paris va renforcer encore ses positions en faveur d’une autonomie militaire et technologique envers les USA. Un bien mauvais départ pour les accords de collaboration technologique que l’administration Biden comptait proposer à l’Union européenne lors d’un meeting à Pittsburgh à la fin du mois.

David SCHMIDT

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