France

la France sera-t-elle confrontée à une guerre civile ?

Analyse des prémisses de cette guerre.

Deux lettres ouvertes mettant en garde contre une guerre civile potentielle ont une fois de plus placé l’Islam au centre de l’agenda politique en France.José Downing affirme qu’au lieu de considérer les musulmans français comme une menace unique pour la sécurité du pays, les politiciens et les forces armées feraient mieux de se concentrer sur les problèmes de sécurité séculaires de la France.
Deux lettres ouvertes évoquant la possibilité d’une guerre civile en France ont provoqué une onde de choc en Europe. Ces lettres, écrites d’abord par des généraux à la retraite, puis par des soldats anonymes en activité, ont suscité des interrogations quant à la perte de contrôle des forces armées par le président français Emmanuel Macron.

En dépit de ce tollé, il y a peu de raisons de s’inquiéter pour l’armée française. Les militaires de base restent apolitiques et fidèles à leur travail. En effet, aucune des deux lettres ne précisait que l’armée voulait ou allait déclencher une guerre civile, mais seulement qu’elle était prête à intervenir pour protéger l’intégrité de la France en cas de troubles généralisés.

Ces interventions remarquables nous en disent plutôt plus sur le contexte historique des forces armées françaises, sur leur relation difficile avec le pouvoir civil et sur les dangers de l’instrumentalisation de l’islam dans les discours politiques au détriment de la résolution des problèmes de sécurité séculaires.

Le contexte historique

En 1961, lors de la fin de la domination française en Algérie, une tentative de putsch est initiée par des officiers à Alger. L’échec de ce putsch est généralement considéré comme un tournant dans l’implication des forces armées françaises dans la politique, signant une « défaite des généraux » et la subordination des militaires au pouvoir civil.

Cependant, au cours des dernières années, certains observateurs ont commencé à douter de la pérennité de cette position. En particulier, la professionnalisation accrue de la classe dirigeante militaire a été considérée comme une menace potentielle. Le rôle des forces armées dans la lutte contre le terrorisme intérieur a donné plus de poids à cette menace.

À la suite des attaques terroristes qui ont frappé Paris en 2015, le gouvernement français a mis en place l' »Opération Sentinelle », dans le cadre de laquelle 10 000 troupes de combat ont été déployées pour renforcer la sécurité des sites sensibles en France. Ce faisant, le gouvernement a invité l’armée française à participer à l’arène civile d’une manière sans précédent.

D’autres déploiements anti-djihadistes en Afrique de l’Ouest et au Sahel ont laissé l’armée française fortement sollicitée et ont exaspéré des problèmes de sous-financement de longue date. Cependant, ces déploiements civils ont également contribué à l’image positive de l’armée française dans la société. Ainsi, l’élément d’extrême droite dans les forces armées françaises, bien que probablement peu nombreux, peut anticiper que ce contexte d’une charge accrue, d’une popularité accrue et d’une administration civile impopulaire leur offre une opportunité de renforcer leur présence sur le terrain politique.

Les militaires français et l’Islam

Les deux lettres sont très précises quant à ce qui constitue la principale menace pour la stabilité en France – à savoir l’Islam et les « concessions » faites aux islamistes par la classe politique française. Cela pose problème, notamment parce que rien ne prouve que l’establishment français ait fait la moindre concession à l’islamisme, que ce soit sur le sol français ou à l’étranger. Macron a notamment viré à droite récemment, tant sur le plan rhétorique que politique, en adoptant un projet de loi controversé sur le « séparatisme » qui cible les ONG et les mosquées « radicales » en France.

Ce projet de loi représente une conception obsolète de l’endroit où la radicalisation a lieu en France, car les mosquées et les ONG ne sont plus les principaux vecteurs de radicalisation en France depuis un certain temps, les individus empruntant des chemins beaucoup plus diversifiés pour commettre des actes de violence d’inspiration islamiste. Les commentaires contenus dans les deux lettres reflètent également une autre polémique récente et infondée en France, à savoir que le pays, et en particulier ses universités, est menacé par l' »islamo-gauchisme ».

Les lettres vont toutefois bien au-delà d’une discussion abstraite sur l’islamisme et alimentent la marginalisation et la stigmatisation de longue date des musulmans français. Les lettres vont toutefois bien au-delà d’une discussion abstraite sur l’islamisme et contribuent à la marginalisation et à la stigmatisation de longue date des musulmans français.

Ils pointent également du doigt « les communautés religieuses, pour lesquelles la France ne signifie rien – rien d’autre qu’un objet de sarcasme, de mépris et même de haine ». Le spectre des cités dégradées de France comme foyer de radicalisation islamiste est dans l’air depuis un certain temps, mais il est totalement infondé. Il s’agit d’une représentation erronée de longue date des préoccupations séculaires en matière de sécurité et des échecs des politiques urbaines de la France comme un « problème avec les musulmans français ».

Ce récit est d’autant plus erroné que l’armée française est extrêmement diversifiée et constitue un plan de carrière très populaire pour les musulmans français. Elle est pragmatique en ce qui concerne les pratiques de la laïcité, la forme française de laïcité qui interdit la religion dans l’État, en autorisant ouvertement les imams, les rabbins et les prêtres à exercer leur ministère auprès des soldats et en mettant à la disposition des soldats des espaces de prière. Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels, il a été estimé que dix fois plus de musulmans français servent dans les forces armées qu’il n’y a jamais eu de membres actifs d’Al-Qaida.

En effet, quiconque a vu les patrouilles de l’Opération Sentinelle en France est frappé par leur composition multiculturelle. Il est tout simplement inexact de penser que la situation actuelle est celle d’une armée française blanche et d’un établissement de sécurité protégeant la France des terroristes islamistes. Au contraire, les musulmans français jouent un rôle important dans la sécurisation de la République à tous les niveaux et ceux qui ont refusé de servir dans des opérations dans des pays musulmans, comme l’Afghanistan, se comptent sur les doigts d’une main.

Les musulmans français sont également des victimes importantes du terrorisme islamiste en France. Parmi ces victimes dans l’exercice de leurs fonctions, on peut citer les soldats musulmans tués par l’agresseur de Toulouse et recrue ratée de l’armée, Mohamed Merah, ou Ahmed Merabet, le policier musulman tué dans l’attentat contre Charlie Hebdo et objet de la campagne twitter #JeSuisAhmed aux côtés de #JeSuisCharlie. Il convient également de noter qu’un certain nombre des victimes des attentats du 13 novembre et de l’attentat de la Bastille à Nice étaient des musulmans français qui menaient leur vie sociale dans les bars et les restaurants de Paris, célébrant la libération de la Bastille et jouant un rôle important dans la vie française dans la sphère publique.

Préoccupations séculaires en matière de sécurité

Cela ne veut pas dire que la France n’a pas de problèmes de sécurité intérieure importants. La prolifération des armes militaires lourdes en France, comme la tristement célèbre Kalachnikov AK-47, reste un problème important pour les forces de l’ordre dans tout le pays. En outre, la France, et en particulier les banlieues délabrées identifiées dans la deuxième lettre des officiers en service comme une source d’inspiration clé pour leur intervention, connaît des problèmes sociaux importants et bien documentés en matière de logement et de manque d’emploi.

Cependant, ce qui n’est pas aussi bien connu en dehors de la France, c’est la menace importante pour la stabilité et la sécurité que représentent les réseaux de criminalité organisée extrêmement bien organisés et armés qui opèrent à plusieurs niveaux dans le pays. Ces « narco-bandits » laïques et multiculturels, qui ont plus en commun avec leurs frères criminels en Italie, dans les Balkans et même aux États-Unis, représentent des défis importants pour la sécurité en France.

En effet, une maire des tristement célèbres et pauvres 15e et 16e arrondissements du nord de Marseille, une femme d’origine musulmane, Samia Ghali, a demandé que l’armée soit déployée dans sa ville pour faire face à la violence et à l’instabilité croissantes causées par ces groupes criminels organisés. Cette année, ces groupes ont fait la une des journaux lorsque cinq trafiquants de drogue ont été condamnés pour avoir commis le tristement célèbre « barbecue de Marseille », au cours duquel les groupes criminels organisés brûlent les corps de leurs ennemis dans des voitures afin d’envoyer un exemple à ceux qui envisageraient de les croiser.

Le gouvernement français, et même ceux qui se préoccupent de la stabilité de la France au sein des forces armées, feraient bien de se concentrer sur ces formes séculaires d’insécurité que les musulmans français abhorrent plutôt que d’alimenter la même rhétorique de division dont ils accusent leurs ennemis islamistes.

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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