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La face caché de Macron

Les étrangers sont fascinés par le président français Emmanuel Macron. Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? C’est le plus jeune président de l’histoire de la République française, élu sans parti et sans expérience électorale préalable, un quasi inconnu deux ans seulement avant de sauter sur le devant de la scène politique française. Bien sûr que les gens sont curieux.

Mais il y a une autre raison pour laquelle ont nous bombardent de questions sur le président. Il a des diplômes d’études supérieures et issus de la classe moyenne supérieure. Ce type de statut socio-économique est en corrélation étroite avec l’affection pour Macron.

Son point de vue reflète celui de la plupart de cette classe « élite ». Il pense que la division gauche-droite devrait être transcendée. Il ne se soucie pas des idéologies dépassées, mais des solutions qui fonctionnent, d’où qu’elles viennent. Il pense que les startups sont cool et que l’économie devrait être généralement favorable à l’esprit d’entreprise, mais il veut aussi une sorte d’État providence. Il n’a aucun problème avec le mariage gay. Il croit que l’immigration est souhaitable pour des raisons à la fois économiques et morales.

Mais il ne pense pas seulement comme une élite. Il incarne le style de vie idéalisé de nombreuses élites. Il s’est très bien débrouillé sur le plan académique (mais pas trop bien, ayant échoué à l’examen d’entrée à l’école de la fonction publique ultra prestigieuse de l’ENS), ce qui suggère une certaine profondeur d’esprit (maîtrise en philosophie), mais aussi un succès pratique (les diplômés de l’ENA dirigent les secteurs public et privé du pays), parce que, allez, combien de personnes veulent vraiment devenir philosophes ? * Il s’est très bien débrouillé dans la banque d’investissement, mais pas trop bien. Son mariage avec une femme beaucoup plus âgée qui était autrefois son professeur de théâtre est socialement transgressif à un degré juste correct. Il est beau, mais pas trop beau.
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En d’autres termes, Emmanuel Macron est le Donald Trump de la classe élite. Il n’est pas seulement leur représentant, c’est leur avatar. Les inconditionnels de Trump l’aiment avec tant de dévotion non seulement parce qu’ils aiment ce qu’il dit, mais aussi parce que son image est celle de l’homme qu’ils aimeraient être ou pourraient être. C’est la même chose avec Macron et sa propre base d’élite. Et c’est à partir de ça que sont faits les mouvements messianiques.

La comparaison n’est pas parfaite. D’une part, je n’ai aucun problème avec l’idée que Macron ait le doigt sur le bouton nucléaire de mon pays, alors que l’idée de Trump avec son doigt sur le bouton nucléaire américain me donne des sueurs froides. Mais on en arrive à ce que j’aimerais que l’on sache à propos de Macron : sa politique centriste pragmatique n’est en fait qu’une politique basée sur l’intérêt de classe.

Comme l’a souligné Christophe Guilluy, sociologue et grand analyste de la société contemporaine, les partisans de Macron peuvent se résumer en un seul mot : ils sont les « nantis« . Ce sont eux qui ont traversé les vagues de changement qui ont inondé l’Occident au cours des dernières décennies – mondialisation, transformation technologique – et qui ont connu un grand succès. L’éducation est le meilleur prédicteur du vote pour Macron, ce qui est logique, car elle est en corrélation non seulement avec le capital financier mais aussi avec le capital culturel. Un autre prédicteur est l’âge, d’une manière peut-être inattendue : Macron est très populaire auprès des personnes âgées, dont les pensions les protègent des réformes libéralisantes sur lesquelles Macron a fait campagne, et très impopulaire auprès des jeunes, qui, de façon disproportionnée, sortent perdants de l’économie française contemporaine.

C’est pourquoi, après avoir utilisé les bizarreries du système électoral français pour se faire élire comme alternative à de pires candidats, Macron est extrêmement impopulaire. Les Français non élites sentent exactement ce que les élites sentent, et leur réaction est tout aussi prévisible. Maintenant, les partisans de Macron ne croient pas qu’ils le soutiennent pour la raison grossière qu’il profitera à leur classe aux dépens du reste du pays ; au lieu de cela, ils croient simplement que ce qui est bon pour eux est bon pour le pays. Appelez ça de l’économie de « l’économie des retombées ». Mais, bien sûr, personne ne croit qu’ils appuient une certaine politique simplement parce que c’est bon pour eux. La construction du mur frontalier entre les États-Unis et le Mexique est présentée comme une question d’identité américaine, quelque chose à laquelle tous les Américains peuvent s’identifier, et non comme une barrière protectionniste pour les salaires des partisans de Trump au détriment des bénéficiaires bien nantis de l’immigration à bas salaires.Il n’y a rien de mal à cela : Les groupes qui défendent leurs intérêts, c’est ce qu’est la politique. La politique démocratique dure parce que c’est le mécanisme le moins mauvais que nous ayons mis au point pour gérer précisément cela.

Mais il y a un revers à la politique de classe de Macron : Si vous décidez de remplacer l’ancienne division gauche-droite par la division entre les nantis et les démunis, n’avez-vous pas créé un monstre d’un autre genre ?

Le tsunami de Macron a frappé, et les partis traditionnels de gauche et de droite français et sont profondément blessés et luttent pour leur survie. Mais deux personnes vont bien : Jean-Luc Mélenchon, première marque de feu d’extrême gauche en France, et Marine Le Pen, leader populiste d’extrême droite en France. En fait, il est dans l’intérêt politique de Macron qu’ils réussissent bien, qu’ils essoufflent les derniers soubresauts des partis traditionnels qui pourraient remplacer son nouveau parti centriste. Plus Mélenchon et Le Pen font mieux, plus les partis traditionnels font moins bien, et plus Macron ressemble à la seule alternative aux candidats que la majorité des Français rejettent encore.

Ça pourrait marcher pour le faire réélire. Mais voici ce que beaucoup ne comprennent pas dans la tentative de Macron de détourner la politique française de la division gauche-droite que nous avons inventée : S’il réussit, cela signifiera que le parti d’opposition (quel qu’il soit, quel qu’en soit le chef) sera le parti anti-élite par excellence. Mettez Donald Trump, Nigel Farage, Jeremy Corbyn, Jean-Luc Mélenchon, et Marine Le Pen dans une bouteille, secouez vigoureusement et, dans une politique macronifiée, tout ce qui en sort est presque assuré de diriger le pays. Pas aujourd’hui. Pas demain. Mais, si le pari de Macron réussit, à un moment donné…

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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