David SCHMIDTFrance

Fin de l’opération militaire au Sahel

Certains États refusent tout simplement d'assumer leurs fonctions

France : Le président Macron annonce la fin de l’opération militaire au Sahel

Le président français Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane, une offensive lancée en 2013 contre les insurgés islamistes dans la région du Sahel, en Afrique de l’Ouest.

Le président français Emmanuel Macron a déclaré jeudi qu’il mettait fin à l’opération menée par la France depuis huit ans dans la région du Sahel en Afrique, en particulier au Mali, où l’armée du pays a mené une bataille contre les insurgés islamistes.

Lors d’une conférence de presse à Paris avant le sommet du G7 de demain, le président Macron a déclaré que la région du Sahel était devenue « l’épicentre du terrorisme international » ces dernières années, mais a affirmé que la France ne pouvait pas y maintenir une présence « constante ».

« Nous ne pouvons pas sécuriser certaines zones car certains États refusent tout simplement d’assumer leurs fonctions. Sinon, c’est une tâche sans fin », a-t-il déclaré.

M. Macron a ajouté que la « présence à long terme » des troupes françaises « ne peut se substituer » aux États-nations qui gèrent leurs propres affaires.

Tout rôle de l’armée française serait axé sur la formation et l’équipement des forces de sécurité africaines, a déclaré M. Macron, ajoutant que le calendrier n’avait pas encore été finalisé. Il n’a pas donné plus de détails sur les éventuels chiffres de réduction des troupes.

« Le moment est venu : la poursuite de notre engagement au Sahel ne se fera pas de la même manière », a déclaré Macron aux journalistes, tout en appelant à une « transformation profonde » et à une nouvelle force internationale pour assurer la sécurité de la région.

La France compte actuellement 5 100 soldats dans la région du Sahel, qui s’étend sur une demi-douzaine de pays. L’un des points chauds est le Mali, ancienne colonie française qui a connu un deuxième coup d’État militaire en l’espace de neuf mois.

Pourquoi la France est-elle au Sahel ?

La France a déployé des soldats dans la région en 2013 dans le but d’empêcher les djihadistes d’y prendre pied.

Pourtant, leur présence n’a pas réussi à stopper la vague d’attaques meurtrières, le gouvernement français ayant du mal à convaincre ses alliés occidentaux de fournir davantage de troupes.

L’Allemagne a 450 soldats au Mali dans le cadre d’une mission de formation, et l’année dernière, elle a prolongé cette mission jusqu’en 2021.

La force anti-terroriste conjointe composée du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger souffre d’un manque d’équipement, de fonds et de formation.

Pas moins de 50 soldats français ont perdu la vie au cours de cette mission de huit ans, ce qui a incité certains parlementaires de l’opposition à demander qu’il y soit mis fin.

L’annonce de M. Macron pourrait donner lieu à un débat sur la question lors du prochain sommet du G7, ainsi que lors de la réunion de l’alliance militaire de l’OTAN à Bruxelles lundi.

Le Sahel est considéré par de nombreux politiciens et experts occidentaux comme un risque majeur en raison de la force croissante des militants qui s’y trouvent.

Il est également considéré comme un carrefour pour le trafic d’armes et de personnes.

Que s’est-il passé au Mali ?

Le colonel Assimi Goita est à l’origine de deux coups d’État au Mali, qui ont évincé un président démocratiquement élu l’année dernière et le gouvernement de transition.

Il a prêté serment en tant que président intérimaire avant de nommer son nouveau premier ministre lundi.

Goita a ignoré les appels de la communauté internationale à rendre le pouvoir au gouvernement civil destitué du pays.

Il s’est engagé à organiser des élections en février de l’année prochaine, mais on ignore quel rôle lui et d’autres personnalités militaires joueront dans la gouvernance du Mali après cette date.

Deux blocs régionaux, la CEDEAO et l’Union africaine, ont décidé la semaine dernière de suspendre les deux organisations du Mali à cause de la junte.

Le mois dernier, M. Macron avait prévenu qu’il pourrait retirer l’armée française si le gouvernement civil n’était pas rétabli dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.

Européanisation de la lutte anti-terroriste au Sahel

Le calendrier de cette annonce n’est pas anodin: ce 11 juin débute le sommet du G7, trois jours plus tard a lieu le sommet de l’Otan et le 15 juin le sommet États-Unis-Union européenne se déroulera en présence de Joe Biden. Le Président français compte ainsi mettre la pression sur ses partenaires transatlantiques pour qu’ils soutiennent les initiatives multilatérales au Sahel.

«C’est de la pure communication, rétorque Georges Kuzmanovic. Comme cela a été présenté, ce n’est pas de nature à améliorer durablement la situation sécuritaire.»

Avec 600 militaires de huit pays européens, la force Takuba est essentiellement composée de forces spéciales. En l’état actuel des choses, elle n’aurait pas beaucoup de chances d’améliorer la situation sécuritaire sur un territoire aussi étendu que le Vieux Continent! Même suppléée par la Minusma (Onu) et la force G5 Sahel. Comme beaucoup, l’ancien militaire estime que «le politique doit traiter les problèmes de pauvreté endémique, aggravée par les traités inégaux de libre-échange.»

Notre interlocuteur pense toutefois qu’en finir avec l’opération Barkhane et ramener le gros des 5.100 hommes français à la maison est le bon chemin à suivre. Malgré quelques récents succès militaires sur le terrain, le bilan des opérations Serval puis Barkhane reste pour le moins contrasté. D’aucuns dénonçant même un échec. Plus de cinquante soldats français sont morts sur le terrain. Près d’un milliard d’euros a été englouti annuellement dans la région. Or les résultats sont minimes au regard de l’immensité des enjeux.

«Nous n’avons rien réglé, le problème s’est au mieux métastasé sur les pays voisins», analyse notre interlocuteur.

Le mal malien dépasse les frontières du Sahel. La menace est certes moins concentrée sur un territoire précis, mais elle est bien plus diffuse. Du Bénin au Tchad, en traversant toute la bande saharo-sahélienne, les groupes djihadistes sévissent sporadiquement. Le Président Emmanuel Macron rend visite aux hommes de l’opération Barkhane à Gao, 19 mai 2017. derrière les succès tactiques et la montée en puissance de la «sahélisation», le manque de stratégie?

Le coup d’État au Mali, «un prétexte idéal pour se dégager»

En témoigne la récente attaque de Solhan au Burkina Faso dans la nuit du 4 au 5 juin. 160 personnes ont été tuées par des groupes armés terroristes en l’espace d’une nuit. Depuis 2015, des bandes se revendiquant notamment d’Al-Qaïda* ou de Daech*, ont fait au moins 1.400 morts et ont engendré plus d’un million de déplacés rien qu’au Burkina Faso.

Au sol, «hormis le Tchad, aucune armée locale n’a réussi à prendre le relais sur le terrain. Désormais, on demande à l’armée de pallier d’autres problèmes. Mais ce n’est pas son rôle. C’est le rôle du politique, aux niveaux national et international», rappelle Georges Kuzmanovic.

Avec des moyens limités et sans stratégie concrète, les militaires français au sol ne pouvaient qu’assurer le service minimal, tant au niveau sécuritaire qu’au niveau politique et développement. «Il faut savoir que chaque jour, nous apportons à peu près quatre cents actes de soins pour la population locale», expliquait le général Jérôme Pellistrandi à France Info ce 10 juin. Un effort énorme et paradoxalement ridicule face à l’immensité de forces nécessaires au développement régional.

Face à cette situation, le retrait de la majorité des troupes françaises et la fin de l’opération Barkhane auraient depuis déjà un certain temps été dans les cartons de l’Élysée et du ministère des Armées.

«On était dans une situation d’enlisement et le coup d’État donne un prétexte idéal pour se dégager», estime notre interlocuteur.

La reconnaissance par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du colonel putschiste Assimi Goïta, après un second coup d’État en un an a ainsi offert une porte de sortie honorable au locataire de l’Élysée. La position officielle de Paris plaidait pour un retour au gouvernement de transition civil, ce qui n’a pas eu lieu.

«On combat des groupes armés terroristes à l’étranger, mais en France, on favorise toujours l’islamisation»

Y a-t-il un lien entre les lettres des militaires français adressées à Emmanuel Macron et le gouvernement, et les engagements militaires français à l’étranger? Décryptage de Jacques Hogard, ancien colonel de l’armée de terre.

La lettre ouverte signée à la fin du mois dernier par une vingtaine de généraux, a suscité une importante polémique au sein de la classe politico-médiatique, et elle continue à faire des vagues.

Le document, repris par Valeurs actuelles, met en garde Emmanuel Macron et le gouvernement contre les conséquences potentiellement délétères du révisionnisme historique et de l’idéologie décoloniale, qui diviseraient la société française. Il pointe aussi l’islamisation croissante qui conduit certains territoires, soumis à des dogmes contraires à la Constitution, à se transformer et à se séparer du reste du pays.

«On est en guérilla urbaine»: un général ayant signé une tribune de militaire s’exprime

Florence Parly, ministre de la Défense, a demandé à l’armée de sanctionner les soldats qui violaient leur devoir de réserve. Pourtant, le 9 mai, des officiers d’active ont publié une autre tribune dans le même magazine, ouverte à la signature tant des civils que des militaires. Jacques Hogard, ancien colonel de l’armée de terre où il a servi durant 26 ans comme officier parachutiste à la Légion étrangère, puis aux Opérations spéciales, fondateur du cabinet de diplomatie d’entreprise internationale EPEE et auteur du livre L’Europe est morte à Pristina (Éd. Hugo Document), explique que certains ont déformé les propos contenus dans la lettre des militaires:

«Ces lettres ne sont pas des appels à l’insurrection militaire, comme certains ont voulu le dire, notamment une certaine extrême-gauche et peut-être aussi une partie du gouvernement.»

Jacques Hogard pointe du doigt les enjeux des opérations militaires françaises, notamment en Afrique, qui ne feraient que contribuer au chaos dans la région, ce qui a des répercussions directes sur la France même. Un rapport parlementaire publié en 2015 a recensé au moins 60 opérations militaires françaises en Afrique depuis 1960. L’afflux migratoire vers la France au cours de cette même période suggère que ces interventions militaires n’ont guère contribué à la stabilité du continent.

«On va combattre des groupes armés terroristes au Burkina Faso, au Niger ou au Mali, mais en France, on favorise toujours l’islamisation: il y a là une incohérence notoire et on voit bien avant tout que c’est un problème politique. Les interventions militaires n’ont pas de sens en elles-mêmes si elles ne servent pas une cause politique supérieure.»

La France paie-t-elle désormais le prix de sa stratégie interventionniste et de son suivi aveugle de l’Otan dans ses aventures militaires malavisées? Jacques Hogard explique qu’en effet, la France s’est peu à peu rangée comme un bon élève derrière l’Alliance atlantique, qui est «le bras armé de l’administration américaine»:

«Les interventions militaires n’ont aucun sens en elles-mêmes si elles ne sont pas soumises à une vraie vision d’ensemble, une vision globale, une stratégie générale. Or, aujourd’hui, nous n’avons plus cette vision globale. Nous n’avons plus de vraie diplomatie indépendante et pour cause, puisque nous sommes à la fois soumis à l’Otan et à l’Union européenne.»

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

Articles similaires

Donnez-nous votre avis sur cette article !

Bouton retour en haut de la page