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Un calculateur quantique, c’est quoi?

Tout simplement un ordinateur qui utilise les propriétés de la mécanique quantique pour effectuer des opérations. L’informatique quantique tire notamment parti de la superposition et de l’intrication – deux phénomènes tellement étranges que même Einstein les trouvait déroutants, voire impossibles…

Pour bien comprendre la différence avec un ordinateur classique, rappelons comment ce dernier fonctionne. En informatique traditionnelle, l’élément de base est le bit. Ce dernier ne peut prendre que deux valeurs: 0 ou 1. C’est ce qu’on appelle un système binaire.

Un ordinateur quantique, lui, utilise des qubits. Eux aussi peuvent être égaux à 0 ou 1. Mais en bon produits de la mécanique quantique, ils possèdent surtout un super-pouvoir: tant qu’on ne tente pas de déterminer combien ils valent, ils valent à la fois 0 et 1… C’est le phénomène de superposition quantique, illustrée en 1935 par le célèbre chat de Schrödinger [voir ici l’explication détaillée], à la fois mort ET vivant dans sa boîte tant qu’elle reste fermée, mort OU vivant dès que cette dernière est ouverte…

D’accord, mais à quoi ça sert ? Si on se limite à un unique qubit, pas à grand-chose. Les choses ne deviennent intéressantes que lorsqu’on commence à les accumuler. Avec un ordinateur quantique, la puissance de traitement double pour chaque qubit supplémentaire. Rappelez-vous: en état de superposition, un qubit vaut à la fois 0 et 1. Cela fait deux possibilités. Dans un système à 2 qubits, on passe à quatre possibilités. Dans un système à 3 qubits, on passe à 16. Et ainsi de suite… Mais le nombre de possibilités augmente de manière exponentielle. A 30 qubits, on est déjà à plus d’un milliard de possibilités. A quelques centaines de qubits, on dépasse le nombre d’atomes dans l’Univers. Et on va pouvoir manipuler toutes ces possibilités en quelques opérations – là où un ordinateur classique aurait dû effectuer des milliards de milliards d’opérations différentes…

Le calculateur Sycamore de Google mis à disposition de la Nasa embarquait 53 qubits. Ce n’est pas une surprise: les scientifiques estimaient depuis longtemps que la suprématie quantique serait atteinte aux alentours de 50 qubits, et plusieurs entreprises comme IBM, Intel ou Google s’approchent ou dépassent déjà cette limite. Google, qui semble avoir une longueur d’avance, a même présenté l’an dernier un calculateur à 72 q-bits baptisé Bristlecone.

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Faut-il s’inquiéter ?

Si l’expression «suprématie quantique» a l’air de sortir tout droit d’un film de science-fiction, la réalité qu’elle recouvre est beaucoup plus triviale. Cela signifie simplement qu’un ordinateur quantique vient d’accomplir une tache quasiment impossible à effectuer pour un ordinateur traditionnel (en tout cas à l’échelle humaine). Ce n’est donc pas demain la veille que les ordinateurs de Google vont s’émanciper pour dominer le monde, façon Terminator. En gros, on vient seulement de prouver que les milliards investis pouvaient servir à quelque chose…

Pour autant, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’obtenir un véritable ordinateur quantique. L’algorithme utilisé par John Martinis et son équipe était extrêmement limité. Surtout, il ne faut pas imaginer l’ordinateur quantique comme un ordinateur classique dopé aux stéroïdes. C’est d’ailleurs pour cela qu’on parle plus volontiers de «calculateur». L’informatique quantique reste le royaume de la probabilité, et les algorithmes utilisés dans le cadre de cette dernière sont extrêmement spécifiques. Si on demande à un vulgaire PC d’effectuer une opération, on obtiendra toujours le même résultat. Un ordinateur quantique, lui, donnera le même résultat… la plupart du temps. Il existe une marge d’erreur, plus ou moins importante et que les chercheurs s’efforcent de réduire.

Les calculateurs quantiques sont de plus extrêmement complexes à concevoir. Les qubits ne s’empilent et ne se manipulent pas comme de simples transistors. Les géants de l’informatique tâtonnent encore pour déterminer quelle technologie est la plus efficace pour fabriquer ces qubits. Des ions ? Des circuits supraconducteurs ? Des atomes ? Dans tous les cas, il faut les refroidir à des températures proches du zéro absolu (-273°C), et empêcher que le résultat soit faussé sitôt une opération effectuée – un phénomène connu sous le nom de «décohérence». Bref, s’ils pourraient rapidement être utilisés pour des applications spécifiques, ce n’est pas demain la veille que des processeurs quantiques se retrouveront dans nos smartphones…

L’ordinateur quantique, ça peut servir à quoi?

Sans doute parce que cela fait peur à tout le monde, le domaine d’application le plus médiatisé est la cryptographie. Un calculateur quantique serait capable de casser la plupart des systèmes de chiffrement actuels. Autrement dit, d’être capable de déchiffrer (et donc falsifier) n’importe quelle information circulant sur les réseaux, qu’il s’agisse de secrets d’Etat, de correspondances privées ou de transactions financières.

La méthode est déjà connue: l’algorithme de Shor [dont voici une description pour les matheux]. Reste à disposer de l’ordinateur pour le faire tourner… On en est encore très loin, même avec le plus gros calculateur quantique actuel. En début d’année, deux chercheurs américain et suédois, Craig Gidney et Martin Ekerå, ont calculé que pour casser en huit heures un chiffrement RSA à 2048 bits, il faudra un calculateur de… 20 millions de qubits [voir l’article en anglais]. Google est d’ailleurs le premier à admettre que l’ordinateur quantique idéal devrait disposer de 100 millions de qubits.

Il faudra probablement plusieurs décennies pour y parvenir. Ce qui n’empêche pas les entreprises et les laboratoires de commencer à utiliser des calculateurs quantiques pour des projets concrets. Volkswagen veut par exemple d’y recourir pour optimiser la circulation routière. Mais à terme, l’informatique quantique pourrait également révolutionner l’intelligence artificielle, les prévisions météorologiques et la recherche scientifique.

Source: Republicain Lorrain

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