Site icon David SCHMIDT

Vague de suicide au Maroc

« Les facteurs de suicide se chevauchent, s’empilent, s’accumulent et se compliquent jusqu’à ce que la personne sur le point de se suicider ne reconnaisse plus les problèmes auxquels elle était confrontée et dont elle se plaignait, qu’ils soient liés à la pauvreté, aux difficultés sociales, aux maladies, à la faillite ou à toute autre raison ».

Le message de suicide laissé par un citoyen dans la ville de Fès.
« Je suis mort de faim, il n’y avait aucun soutien et les autorités sont des menteurs et des hypocrites ».

Écrit dans une écriture hésitante, imprimée sur une ligne désordonnée, et dans un dialecte marocain avec des erreurs linguistiques, un homme de cinquante ans a exprimé son mécontentement par rapport à sa situation de vie, laissant ce message derrière lui avant de se suicider dans la ville de Fès. Le message a été écrit sur un carton usé et aspergé de sang… Certains de ses biens ont été abandonnés à côté de son message, notamment un carnet, une vieille boîte de fer et le drapeau du Maroc en haut de sa lettre.

La vie de cet homme n’avait pas été facile. Il ne vivait que de son travail quotidien dans la construction, avec des salaires incroyablement bas, qui ne dépassaient pas 100 dirhams (environ 10 dollars) par jour. Cette somme lui permettait à peine d’assurer les bases de sa vie. Sa situation économique s’est encore aggravée après la suspension des activités de construction, après l’approbation et l’application de la quarantaine dans le pays.

« Il s’est suicidé pour préserver sa dignité et son estime de soi, qu’il a vécue toute sa vie », a déclaré son neveu à Daraj.

Les médias locaux ont rapporté que l’homme qui a perdu la vie avait demandé l’aide du gouvernement en raison de la difficulté de sa situation de vie, mais sa demande a été rejetée la première fois, et ses tentatives répétées n’ont pas porté leurs fruits, ce qui l’a conduit à ressentir du désespoir et de la frustration.

Néanmoins, la photo diffusée sur les médias sociaux de l’homme a suscité beaucoup de doutes et d’inquiétudes chez certaines personnes. Son suicide semblait presque préparé et orchestré par quelqu’un d’autre, de sorte que la question allait finalement attirer l’attention et la solidarité des Marocains. La question qui a été soulevée est précisément de savoir comment l’homme qui s’est suicidé a écrit son message, bien qu’il soit apparemment illettré, comme l’ont confirmé des sources de la presse locale.

Les autorités ont catégoriquement nié ce qui a été raconté par la famille de l’homme. De plus, elles ont confirmé que l’homme qui s’est suicidé n’a laissé aucun message derrière lui et n’a pas fait de demande pour bénéficier du soutien dédié aux familles touchées par le « Coronavirus ». En outre, les autorités ont souligné que les données diffusées étaient « incorrectes », car elles étaient promues de manière « délirante ». Elles ont également fourni des preuves en inspectant la scène du suicide où elles n’ont trouvé aucun message comme celui qui a été diffusé sur les médias sociaux.

Al-Shaabany ne nie pas le rôle de la quarantaine comme « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » pour le suicide, ni comme un facteur de provocation et d’influence pour les récents cas de suicide.

Outre les détails de l’histoire de cet homme de cinquante ans et le mystère qui l’entoure, la situation économique et ses conditions de vie sont probablement les facteurs et les raisons de son suicide, bien que ce ne soit peut-être pas un motif central mais plutôt une partie d’autres facteurs ramifiés et complexes.

L’histoire de l’homme qui s’est suicidé et qui a écrit le message « Nous sommes morts de faim » n’est pas la seule histoire de suicide enregistrée au Maroc pendant la pandémie « COVID- 19 ». Le pays a été témoin d’une série de suicides pendant cette période, car les sites web et les journaux marocains ont été remplis de nouvelles presque quotidiennes de ceux qui ont décidé de mettre fin à leur tragédie par la mort. Cette affaire soulève la question du lien de ces cas avec les résolutions de l’application de la quarantaine et le blocage presque total des activités économiques et professionnelles pendant deux mois consécutifs. L’étape du verrouillage, malgré son importance pour prévenir la propagation du virus – COVID 19 – et la réduire, a eu de graves effets sociaux, économiques et psychologiques sur de larges groupes de personnes à faibles et moyens revenus. Ces effets ont poussé les personnes les plus démunies à se suicider. « Mol Al Sodor », le premier mais pas le dernier…

« Mol Al Sodor » (le Soudeur) a été le premier à se suicider en mars en raison des répercussions de la nouvelle pandémie de Coronavirus. L’histoire de cet homme, originaire de la province d’El Jadida (ouest du Maroc) était pleine de nœuds et de problèmes. Cet homme souffrait de ses propres problèmes psychologiques et familiaux, mais le motif de son suicide, d’après ce que racontent ses proches, réside dans l’aggravation de ses conditions de vie et de sa situation économique. L’aggravation de ses conditions s’est produite après que les autorités locales aient fermé son petit magasin commercial. Cette fermeture est intervenue dans le cadre de la mise en œuvre des mesures d’urgence sanitaire qui visent à empêcher les rassemblements et à réduire les activités commerciales afin de prévenir la propagation de la COVID- 19.

Selon des sources de la presse locale, Al Sodor a justifié sa décision de se suicider par l’augmentation de sa détresse financière et son incapacité à subvenir aux besoins essentiels les plus simples de sa famille. Par conséquent, « il a préféré la mort avec sa dignité à celle de mendiant ». En outre, il a vu que la mort existait déjà partout et autour de lui, notamment lorsque le virus ravageait de nombreux Marocains à cette époque.

Il existe un autre cas relativement similaire aux deux précédents (l’homme de cinquante ans et Mol Al Sodor). Cette histoire tourne autour d’un homme qui a mis fin à sa vie en se pendant par une corde dans un des cafés où il travaillait comme serveur dans la ville de Tanger. Selon la presse, le motif de son suicide serait dû à l’aggravation de sa situation financière.

Le phénomène du suicide concerne également la région de Chtouka Aït Baha (sud-ouest du Maroc), une zone considérée comme une combinaison de nature rurale et urbaine. Là, un homme de cinquante ans s’est pendu par une corde qu’il avait enroulée autour d’un tronc d’arbre. Cependant, les raisons de son suicide restent mystérieuses, alors que certains de ses proches ont confirmé que le motif principal de son suicide résidait dans ses conditions financières et de vie difficiles.

À son tour, un agriculteur de quarante ans, dans un village de la région de Sidi Bennour (ouest du Maroc), a fini sa vie dans une étable pour le bétail qui n’était pas loin de chez lui. Selon des sources de presse, la raison de son suicide était à nouveau due à sa situation financière tendue.

Chefchaouen … Le premier au Maroc

La ville de Chefchaouen, connue pour son atmosphère calme, sa nature béate et ses tranquilles murs bleus, n’a pas été épargnée par la montée du phénomène du suicide, ni avant ni après les répercussions de la pandémie de Coronavirus. Bien qu’elle n’ait enregistré aucune infection depuis le début de la pandémie, elle s’est conformée aux décisions du gouvernement d’imposer une quarantaine pendant plus de deux mois consécutifs.

Les récits sont nombreux et les motifs sont nombreux et complexes, selon les différents contextes psychologiques, sociaux et économiques. Le plus marquant de ces cas est le suicide d’une femme au cours de ce mois. Elle a été retrouvée pendue à une corde sur un tronc d’arbre près de sa maison, les motifs de son suicide étant liés à des problèmes familiaux, qui ont affecté son état psychologique.

Quant aux jeunes, connus pour leur amour et leur passion pour la vie, ils n’ont pas non plus été épargnés par l’infiltration de pensées suicidaires dans leur propre esprit. Deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années vivant dans des zones rurales se sont étranglés pendant les moments heureux de l’Aïd al-Fitr. Il n’y a pas plus de détails sur les motifs de leur suicide que ce qui a été diffusé par les médias, à savoir que le premier était issu d’une famille conservatrice et que son état était ambigu car « il ne présentait aucun symptôme de maladie mentale ». Quant au second, il était accablé par des troubles mentaux et a fini par décider d’abandonner à la fin.

Chefchaouen est classé premier au Maroc pour les suicides, avec un nombre effrayant de 50 suicides par an, selon ce que Mohamed Benaissa, le chef de l’observatoire des droits de l’homme du Nord a déclaré à « Daraj ». 10 décès ont été enregistrés dans la région pour cause de suicide depuis le passage de la quarantaine, entre la mi-mars et le 13 juin. 90 % des suicides ont été commis dans les zones rurales montagneuses ; la plupart d’entre eux ont été commis par pendaison avec une corde sur des troncs d’arbres.

« Le phénomène du suicide dans la région de Chefchaouen hante l’opinion publique de la région depuis si longtemps, et les institutions officielles n’y prêtent aucune attention », explique M. Benaissa.

« Nous nous demandons combien d’acteurs se taisent, principalement le ministère de la santé, tant qu’il s’agit de santé mentale humaine », ajoute-t-il.

M. Benaissa établit un lien entre le nombre croissant de suicides dans la région de Chefchaouen et l’impact des conditions économiques et de vie des citoyens qui sont dépendants du commerce de cannabis indien depuis plus de trois décennies, mais leurs conditions économiques se sont détériorées de façon sans précédent au cours des dernières années, après que les revenus de cette drogue interdite aient diminué.

Benaissa poursuit : « Tout cela s’est produit alors que l’État n’a fait aucun effort pour trouver de réelles possibilités de développement de la région après avoir utilisé la carte de cannabis indienne pendant des années pour contrôler et ajuster la zone », 22 suicides en un mois

Le taux de suicide des hommes a dépassé celui des femmes dans le mois qui a suivi l’imposition de la quarantaine. C’est ce que confirme une étude préparée par le sociologue Younis al-Gazouli, avec un nombre de 18 suicides chez les hommes (81,81 %) contre 4 suicides chez les femmes (18,18 %). En 2016, le taux de suicide des femmes a enregistré un nombre plus élevé que celui des hommes, puisqu’elles ont enregistré un nombre de 613 suicides contre 400 suicides chez les hommes, avec un total de 1013 suicides (statistiques de l’OMS).

L’étude, supervisée par le Centre marocain d’études et de recherches pédagogiques, a recensé 22 suicides en un mois, pendant la période du 20 mars au 20 avril. Elle a confirmé que le taux de suicide avait augmenté depuis la fin du mois de mars et avait atteint son maximum en avril.

L’auteur de l’étude, M. al-Gazouli, a conclu que « plus les jours de quarantaine passent, plus le taux de suicide augmente ».

« Daraj » a observé que la grande majorité des suicidés avaient un emploi modeste et que l’imposition d’une quarantaine leur avait fait perdre leur emploi et avait aggravé leurs conditions de vie et économiques, ce qui avait accru leur frustrution, entraînant la détérioration de leur état psychologique, ce qui augmentait les chances de suicide.

Une source de recherche pour « Daraj » a montré que les taux de suicide dans les régions urbaines et rurales étaient proches en nombre, et aussi que la méthode la plus utilisée pour se suicider, que ce soit dans les régions urbaines ou rurales, était la pendaison, avec 19 cas, soit une moyenne de 63,86 %, contre 3 cas qui préféraient sauter du balcon, avec un pourcentage de 36,86 %.

L’utilisation de la pendaison pour se suicider, plus que d’autres méthodes, s’explique par « sa facilité et son efficacité », alors que d’autres moyens plus courants avant la quarantaine étaient plus difficiles à trouver, comme l’utilisation de mort-aux-rats et de pesticides. Cela a été attribué au « couvre-feu qui a affecté le mouvement des personnes, et à la fermeture de la plupart des magasins qui vendent ces produits ».

La goutte d’eau qui fait déborder le vase

Les chercheurs pensent que le suicide, en tant que cas individuel ou même en tant que phénomène enregistré par une société, reste compliqué et ne peut être limité à un seul facteur ou à une seule cause.

Ali al-Shaabany, professeur de sociologie, est d’accord avec cette théorie et pense que les facteurs de suicide ont été ramifiés.

« Les facteurs de suicide se chevauchent et s’accumulent, à mesure que les problèmes s’aggravent et se compliquent, jusqu’à rendre une personne suicidaire totalement incapable d’affronter les problèmes dont elle se plaint toujours, qu’il s’agisse de pauvreté, de difficultés sociales, de maladie, de faillite ou de toute autre raison », dit-il à Daraj.

Al-Shaabany ne nie pas le rôle de la quarantaine comme « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » pour le suicide, ni comme un facteur de provocation et d’influence pour les cas de suicide récents.

A ce stade, Al-Shaabany explique à « Daraj » que :

« La quarantaine a agi comme un catalyseur qui a ajouté à la fragilité de la personnalité de la personne suicidaire, à l’absence des immunités sociales, et autres. Une personne peut également se suicider en raison de conditions économiques ou de tout autre facteur, ce qui rend les gens pessimistes face à l’avenir ».

Al-Shaabany refuse de comparer le cas de suicide de la ville de Fès qui a écrit le message « Nous sommes morts de faim » à tous les suicides au Maroc, quelle que soit la similitude entre eux.

Al-Shaabany conclut : « Nous ne pouvons pas traiter le cas de cette personne comme un modèle pour le généraliser à tous les cas de suicide au Maroc. Nous n’avons pas étudié la vie de cette personne auparavant pour connaître les autres facteurs qui l’ont poussé à se suicider ».

(Source: OMS, Said Walfakir)

Quitter la version mobile