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La solitude des victimes après une plainte pour viol

Et cela engendre des conséquences psychologiques violentes

Après des décennies de silence infligé aux victimes de violences sexistes et sexuelles, la parole se libère enfin. Seulement voilà : cette libération, lorsqu’elle n’est pas encadrée d’un accompagnement parfois vital, coûte psychologiquement et économiquement aux victimes.

« Portez plainte. »

Voilà les mots sans cesse assénés aux victimes de violences sexistes et sexuelles qui libèrent leur parole, notamment sur les réseaux sociaux.

Certaines ne passeront jamais le pas, d’autres l’ont fait… et ont parfois ouvert une véritable boîte de Pandore aux conséquences psychologiques violentes.

Une plainte, mille combats

« Si j’avais reçu un euro à chaque fois qu’on m’a dit “bah porte plainte”, je serais vraiment, vraiment riche à l’heure qu’il est », ironise Clémentine, 23 ans. Lorsque la jeune femme, victime de viol, décide de relater son traumatisme sur les réseaux sociaux, ce sont les mots qui reviennent le plus en commentaires. « Porte plainte », « il faut que tu portes plaintes », « laisse la justice faire son travail »…

« J’ai fini par avoir le sentiment de ne pas être légitime à parler tant que je n’avais pas porté plainte. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est un énième moyen de faire taire les victimes et de perpétuer le tabou autour des violences sexistes et sexuelles. »

L’étudiante en lettres modernes finit par se rendre au commissariat le plus proche de chez elle, et porte plainte. En se remémorant le moment, elle soupire :

« C’était dur, on m’a posé des questions très intrusives, dont je ne comprenais pas l’utilité, et l’officier soufflait quand je cherchais à comprendre. J’ai fini par pleurer, m’effondrer, les supplier de prendre ma plainte, de me croire… »

Après cet épisode — vécu comme « traumatisant » selon les propres mots de la jeune femme — Clémentine souffle un temps. « En rentrant chez moi, après ma plainte, j’ai vécu un moment d’euphorie silencieuse », se souvient-elle.

Ce sentiment de pouvoir sera malheureusement éphémère.

« On ne m’a pas prévenue que j’aurai potentiellement besoin d’un soutien psychologique. On m’a laissée vider mon sac, et puis plus rien — sinon la solitude et le stress post-traumatique. »

Dans les semaines qui suivent son dépôt de plainte, dont elle a choisi de parler sur Internet, l’étudiante fait face à des montagnes russes d’émotions — qui l’entraîneront dangereusement bas psychologiquement, sans filet de sécurité.

« Après ma plainte, j’ai été submergée par le besoin d’en parler publiquement, comme une vague de confiance et de pouvoir, un besoin de crier ma douleur et l’injustice. Et puis le lendemain, avec les commentaires violents, et le cyberharcèlement reçu en retour, j’ai sombré, au point d’avoir des pensées suicidaires. »

Sa santé mentale périclite tout particulièrement après la confrontation avec son agresseur. Face à elle, l’homme nie les faits, la présente comme « folle », « paranoïaque », « hystérique », « mythomane » — un vocabulaire qui resterai ancré dans l’esprit de Clémentine.

« Je savais que ça serait dur, mais je ne pensais pas en faire des cauchemars chaque nuit depuis, au point de ne plus réussir à me lever le matin, et à tomber en dépression sévère.

Personne ne m’a prévenue, personne ne m’a protégée, préservée, indiqué des structures vers lesquelles me tourner. Seule la solidarité militante m’a ramassée à la petite cuillère. »

« Les difficultés psychologiques sont monnaie courante après des violences sexistes et sexuelles, et un accompagnement peut devenir vital pour la victime », appuie Elodie M., psychiatre spécialisée dans l’accompagnement de victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle ajoute :

« En cas d’urgence, les centres psychiatriques d’accueil et d’admissions (CPAA) peuvent être utiles, mais leurs écoutants ne sont pas forcément formés pour prendre en charge les victimes de ce type de violences : c’est du recours d’urgence, pas une solution sur le long terme ».

Sans accompagnement, l’isolement des victimes s’accroît, et leur solitude ainsi que l’impunité des coupables également.

C’était sans compter sur la vague d’adelphité (un mot non-genré mêlant sororité et fraternité) qui pousse aujourd’hui certaines personnes à retrouver d’autres victimes de leur agresseur, et à se lier contre lui.

Des victimes seules, mais seules ensemble

« Même si on n’a pas toutes porté plainte, on a pu échanger à propos de notre vécu, on se sentait plus fortes ensemble », raconte Line, 24 ans, victime d’agression sexuelle. C’est seule que la jeune femme va tenir tête aux personnes qui tenteront de lui mettre des bâtons dans les roues, ou remettre en question son témoignage, au prix de sa santé mentale.

« Je suis tombée en dépression avec paranoïa ; j’ai reçu des soutiens individuels, mais jamais collectifs. »

Comme Line, de nombreuses victimes se retrouvent isolées, sans soutien ni ressources — ce qui contribue à rendre le dépôt de plainte difficile, parfois traumatique voire impossible, en créant un sentiment d’illégitimité du côté de la victime.

Pour contrer ces sentiments parasites, certaines victimes choisissent de faire front, et de porter plainte ensemble : « Des groupes émergent sur les réseaux sociaux et nous permettent d’identifier d’autres victimes et de s’unir, ça fait moins peur que de porter plainte seule », raconte Hélène, 29 ans.

Parmi ces groupes, on retrouve le compte Instagram @__collectives, qui décrit les agresseurs selon leur métier, leurs études, et/ou le lieu où ils exercent. Ces descriptions permettent aux victimes de se manifester, et d’être mises en relation par les personnes gérant ledit compte.

« On peut aussi se retrouver par le bouche-à-oreille », rappelle Hélène, qui reste sceptique quant à la sécurité des témoignages partagés sur de tels comptes. De son côté, elle a retrouvé deux autres victimes de son agresseur ; ensemble, elles ont choisi de porter plainte par courrier au procureur rédigé par un avocat — « On n’avait pas la force de se prendre des remarques ou de risquer de voir notre plainte être refusée », précise la jeune femme.

Elodie M. souligne :

« C’est également ce que je conseille à mes patients et patientes souhaitant porter plainte, leur peur principale étant la violence d’un refus de plainte, ou la négation de leur vécu par un officier de police. Toutes les victimes ne connaissent pas cette possibilité, bien moins violente psychologiquement. »

Clémentine s’est de son côté redirigée vers Nous Toutes, dont l’une des militantes se trouve être une quasi voisine de la jeune femme.

« On a sympathisé, elle m’a pris sous son aile, et m’a incluse dans un groupe de parole. Être entourée de personnes qui comprennent ma situation m’a vraiment aidée, voire sauvée. On était seule chacune, mais toutes ensemble. »

Dans ce groupe, les vécus sont partagés afin d’aider chaque victime à mieux comprendre ce à quoi elle pourrait faire face dans son parcours de plainte — avant, pendant, et après. Clémentine confie :

« On a répondu aux interrogations et incompréhensions que j’avais par rapport à mon parcours, et on m’a écoutée, j’ai pu vider mon cerveau.

Je suis encore en reconstruction, mais cette solution militante me va. Je n’ai pas les moyens d’entamer un parcours psychologique ou psychiatrique pour le moment, mais j’ai besoin d’un filet de sécurité le temps que ma plainte trouve une issue. »

Il faut le savoir : le temps de traitement desdites plaintes peut être long et éreintant psychologiquement pour les victimes. « C’est quelque chose qui revient régulièrement chez mes patients et patientes — cette difficulté face à l’attente et à l’absence d’informations concernant leur plainte », confirme Elodie M., qui poursuit :

« Ils et elles apprennent parfois le classement sans suite de leur plainte au bout de quelques mois ou années, sans aucune nouvelle entre le dépôt et la décision, ça peut être un choc.

Quand les personnes ne sont pas accompagnées en parallèle (faute de moyens ou pour d’autres raisons), cela peut avoir de grosses répercussions sur leur santé mentale ».

En effet, le manque de moyens financiers se fait sentir. D’une part du côté des victimes, évidemment, les violences subies constituant un handicap menant parfois à s’enfoncer dans la précarité, et les privant de l’accompagnement psychologique nécessaire, voire vital.

Mais ce manque de ressource se fait également sentir du côté des structures d’accompagnement aux victimes de violences sexistes et sexuelles.

Le coût de la précarité, frein aux soins psychologiques
« Vous allez pouvoir avancer. »

Voilà les mots entendus de son côté par Elli lors de son dépôt de plainte pour les violences sexuelles infligées sur sa personne par son ex-compagnon. Avancer, oui, mais comment ?

À cette question, Elli n’obtiendra de réponses qu’à l’aide de ses propres ressources.

Comme Elli, de nombreuses victimes de violences sexistes et sexuelles sont laissées seules face à l’après-plainte, parfois sans ressources financières pour trouver l’accompagnement salvateur face au temps long du traitement pénal, et à ses étapes parfois douloureuses pour les plaignants et plaigna,tes.

Si pour Clémentine, l’aide trouvée auprès de Nous Toutes a pu être salvatrice, le rôle semi-choisi, semi-imposé d’écoutants et écoutantes professionnelles donné aux militants et militantes peut mener à l’épuisement — le fameux burn-out militant. Amel, activiste intersectionnelle contre le racisme et le sexisme, souligne :

« Nous ne sommes pas écoutantes professionnelles, mais par la force des choses et l’inaction des gouvernements, nous le sommes devenues, au détriment de notre santé mentale.

On conseille les victimes dans leur parcours de plainte, dans leur parcours de soins psy, on les oriente vers des avocats et avocates, des psychologues, des psychiatres… On fait tout ce qu’on peut. »

Épuisée, la jeune femme a délaissé les lignes militantes depuis quelques semaines.

« J’ai réalisé que j’étais en colère. Je suis fatiguée de devoir endosser un rôle qui n’est pas le mien : celui d’accompagner et de soigner les maux des victimes de violences sexistes et sexuelles à la place des structures et personnes qualifiées, faute de moyens. »

« Je n’avais jamais consulté de psychologue avant, parce que je n’en avais pas besoin », confie Maxime, 32 ans, victime de viol il y a de cela trois ans maintenant ; « aujourd’hui, c’est un besoin vital, mais je ne peux pas me le permettre financièrement ».

Après son dépôt de plainte, face aux difficultés financières déjà installées dans sa vie, cet ex-conseiller téléphonique aujourd’hui au chômage n’a eu d’autre choix que de sacrifier sa santé mentale afin de continuer à se nourrir. Mais c’est un cercle vicieux qui poursuit Maxime depuis lors.

« Je n’ai pas d’argent pour la psy, je vais de plus en plus mal, donc je n’ai pas la force de trouver un travail, je cogite, je stresse, ça aggrave ma santé mentale… c’est sans fin », déplore-t-il, avant de fondre en larmes.

« Il existe bien les centres médico-psychologiques, où le suivi est gratuit, mais ils sont engorgés dans beaucoup de villes », complète Elli. Le militant souligne également l’existence du Fonds d’Indemnisation des Victimes, pouvant épauler financièrement les personnes victimes de violences sexistes et sexuelles. Maxime déplore :

« Personne ne m’a conseillé ou orienté après mon dépôt de plainte, j’étais seul avec mes traumas, mes angoisses, et un besoin de parler incontrôlable. »

En conséquence, sur Twitter et d’autres réseaux sociaux, des cagnottes permettant de financer les soins psy des victimes des violences sexistes et sexuelles pullulent. Elodie M. soutient :

« Je vois bien que parmi les nombreuses conséquences que l’on ne présente pas aux victimes lors d’un dépôt de plainte ou d’une prise de parole, celle que l’on tait bien souvent, c’est la conséquence économique et son poids énorme. On ne leur présente pas le risque, et on ne leur explique pas les solutions. »

En effet, dans le cas d’un acte criminel tel qu’un viol, l’aide juridictionnelle est accessible sans examen de la condition de revenu et de patrimoine (cf. box « Ressources » ci-dessous).

Seules ou avec l’appui d’adelphes, dans les tribunaux ou sur les réseaux sociaux, les victimes de violences sexistes et sexuelles s’organisent pour mettre fin à l’impunité de leurs auteurs, malgré un manque de moyens et de ressources au poids écrasant.

« C’est OK si ça prend du temps de se reconstruire, émotionnellement ça peut être compliqué », conclut Elli. Vous n’êtes pas seules, plus maintenant, mais vous êtes votre priorité.

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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