France

Fin du CBD, des emplois au tapis !

Conséquences sur le marché en plein essor du chanvre "bien-être"

Le texte devrait cependant avoir de lourdes conséquences sur le marché en plein essor du chanvre « bien-être ».

En 2021, le commerce de la fleur de CBD a généré entre 300 et 400 millions d’euros de chiffre d’affaires en France. 70% des ventes concernent la fleur séchée, selon l’Union des professionnels du CBD. Les dérivés ont quant à eux réalisé 200 millions d’euros de ventes.

Coup d’arrêt pour la filière CBD?

Selon un rapport parlementaire, rédigé notamment par Caroline Janvier, député LREM, la France compte près d’un million de consommateurs et le marché du chanvre brut pourrait atteindre plus d’un milliard d’euros.

« Cet arrêté est donc extrêmement cynique, car ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui vont au tapis. Des gens qui sont peut-être sortis de grandes difficultés afin de monter leur boutique », déplore François-Michel Lambert.

Et pour cause, si la France comptait environ 400 boutiques spécialisées en 2020, leur nombre a bondi: désormais, ce sont près de 1.700 « CBD shops » qui vendent ce produit auquel on prête des vertus relaxantes. En outre, près de 2.000 pharmacies et 10.000 buralistes se sont aussi placés sur le segment des dérivés du cannabidiol. Le député écologiste estime que ce texte aura aussi une incidence sur les « consommateurs, qui ont besoin de CBD pour s’apaiser parce qu’ils peuvent avoir des problèmes physiques ou physiologiques ».

Sans compter, les « agriculteurs qui ont investi », rappelle le président du mouvement LEF, or il est précisé dans l’arrêté que la pratique du bouturage est interdite. Aurélien Delecroix, président du Syndicat professionnel du chanvre (SPC), a d’ailleurs prévenu dans les colonnes du Parisien: « Si nos voisins sont les seuls à pouvoir obtenir des variétés génétiques intéressantes, notamment en matière d’extraction du CBD, alors ils seront toujours leaders du marché et la filière française ne décollera jamais ».

Les acteurs du secteur préparent l’offensive

Par ailleurs, l’achat de fleurs et de feuilles de chanvre produites sur le territoire français doit faire l’objet d’un contrat écrit entre producteur et acheteur, établi avant le début de la campagne de production. Autant de règles qui pourraient également avoir des conséquences sur la compétitivité de la filière.

« Pour un intérêt, certes qui n’est pas nul, de l’ordre public, on sacrifie des millions de personnes: consommateurs, producteurs, etc. », tacle François-Michel Lambert.
Le député va plus loin. Selon lui, l’arrêté s’inscrit à merveille dans la philosophie gouvernementale: à savoir « fracturer la société ».
Reste que les acteurs du secteur ont d’ores et déjà fait part de leur intention d’attaquer cet arrêté. Le SPC, l’Union des professionnels du CBD (UPCBD) ou encore l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC), ont annoncé qu’ils allaient notamment déposer des référés liberté et des référés suspension.

« Cet arrêté n’est juridiquement pas valable, puisque la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans son arrêt du 19 novembre 2020 sur l’affaire Kanavape, a précisé que la France ne pouvait interdire l’importation et la commercialisation de produits issus du CBD en provenance d’un autre pays de l’Union européenne, à moins de prouver un risque de santé publique. Ce qu’elle n’a pas fait! », a argué auprès des Échos Aurélien Delecroix.

« Le gouvernement s’en moque, de ces producteurs, de ces consommateurs, ils doivent se dire: en plus ce sont des gens qui “fument des clopes et roulent au diesel” », relève amèrement François-Michel Lambert.

Le député ex-LREM est en colère: les fleurs de cannabidiol, substance non psychotrope du cannabis, sont désormais interdites à la vente et à la consommation en France. « La vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation », sont prohibées, détaille le gouvernement dans l’arrêté publié le 31 décembre dernier. Les produits dérivés desdites fleurs ou feuilles restent néanmoins autorisés à la vente.

Auto-culture du cannabis: de plus en plus de «jardiniers du dimanche» en France, la police débordée ?

Quête de qualité ou démarche écologique? La culture de cannabis à domicile semble attirer de nombreux adeptes. Le gouvernement peut-il endiguer cette tendance? Sputnik fait le point avec Bénédicte Desforges, co-fondatrice du collectif Police contre la prohibition.

Certains Français semblent avoir la main verte. Dans l’Hexagone, l’auto-culture d’herbe de cannabis a le vent en poupe. Selon le baromètre santé 2017 de Santé publique cité par Le Figaro, près de 7% des usagers de cannabis, soit entre 150.000 et 200.000 personnes, auraient eu recours à cette pratique.
Signe de la démocratisation de l’auto-culture, le nombre de saisies de plants de cannabis est en forte progression: en 2010, 54.728 plants ont été confisqués, contre 158.592 en 2014. Et malgré un léger infléchissement entre 2014 et 2016, la tendance est repartie à la hausse.

Dans une interview à Europe 1, Victor Martin, chargé de projet réduction des risques pour l’association marseillaise Plus belle la nuit, explique que «beaucoup de remontées du terrain font état de nouveaux venus dans la production à domicile». «Pour certains, le confinement a été un élément déclencheur. Avec la pénurie s’est posé la question de l’autoproduction avec une logique de recherche de qualité, de savoir ce que le consommateur consomme. Finalement dans la même logique que de produire ses tomates sur son balcon», poursuit-il. Le confinement aurait-il amorcé une tendance de fond ?

Près de 200.000 cultivateurs clandestins

Interrogée par Sputnik, Bénédicte Desforges milite pour une réforme des politiques publiques des drogues. Ex-lieutenant de police, elle a cofondé le collectif Police contre la prohibition à l’automne 2018 qui réunit anciens et actuels policiers et gendarmes. Pour elle, «il n’y a pas de boom de l’autoproduction suite au confinement. On n’a absolument pas le laps de temps nécessaire pour s’en rendre compte [selon la variété, le cycle de production peut prendre entre 2 et 7 mois, ndlr]».

Ce sont ainsi 253.194 citoyens qui ont pris le temps de répondre à l’enquête en ligne disponible sur le site de l’Assemblée nationale, du 13 janvier au 28 février 2021 dernier. Un sondage qui comportait des questions telles que «Pensez-vous que le dispositif actuel permet de lutter efficacement contre les trafics?», ou encore «Seriez-vous favorable à la possibilité pour les particuliers de cultiver à des fins personnelles un nombre de pieds de cannabis fixé par la loi?» Et les conclusions sont riches d’enseignement.

La lutte contre le cannabis jugée inefficace

Près de 81% des répondants sont d’accord avec une autorisation de la consommation et de la production de haschisch dans un cadre régi par loi. En outre, 13,8% d’entre eux se déclarent favorables à la dépénalisation de ce produit stupéfiant. Seuls 4,6% des répondants sont pour un renforcement des sanctions.

Pour Ugo Bernalicis, député de La France insoumise, ces résultats ne sont guère surprenants, puisqu’«il y a un biais de départ»: «le sondage a surtout intéressé les gens intéressés par la légalisation», analyse-t-il au micro de Sputnik. Néanmoins, la «forte mobilisation» pour cette première consultation «n’est donc pas anecdotique», nuance le député. Une mobilisation moins forte comparée aux deux millions de participants à la consultation sur le changement d’heure hiver/été début 2019 par exemple.

Malgré tout, Caroline janvier, députée LREM du Loiret et rapporteur du volet «récréatif» de la mission parlementaire, estime dans un communiqué de presse qu’avec ces nombreuses contributions: «on sait désormais que la légalisation du cannabis n’est plus un tabou en France et que nos concitoyens font le constat de l’inefficacité de la législation actuelle en la matière.»

Ainsi, moins de 5% des sondés considèrent que la loi permet actuellement de limiter l’usage du cannabis, quand plus de 92% d’entre eux estiment que la répression de la consommation ne permet ni d’en limiter l’ampleur ni de lutter efficacement contre les trafics (92,09%).

Ne pas légaliser pour éviter de froisser l’électorat de droite?

Un constat qui pourrait aboutir à un changement de paradigme? Rien n’est moins sûr à en croire Béchir Saket. «C’est d’abord la question d’un tabou du personnel politique», affirme-t-il.

«La gauche ne veut pas prendre la décision de la légalisation, car elle serait considérée comme laxiste et la droite ne veut pas prendre la décision parce que son électorat le refuse et parce qu’elle est authentiquement attachée à la question de l’interdit en France depuis des années.»

Sur France Info, Jean-Baptiste Moreau, député LREM de la Creuse et rapporteur général de la mission d’information, a pourtant déclaré qu’il «faudra lancer une vraie consultation populaire et pourquoi pas un référendum.»

«Ce n’est absolument pas un phénomène nouveau. […] En revanche, qu’il y ait un boom de la répression sur ces choses-là, que les gendarmes soient plus attentifs et qu’ils communiquent plus là-dessus, c’est possible. […] Cela permet de s’adresser à l’opinion publique et de mettre en garde les auto-producteurs.»

Avec Internet, s’approvisionner en graines, acheter une lampe UV, ou encore consulter des tutoriels afin de devenir le parfait cultivateur, devient un jeu d’enfant. Ainsi, le gouvernement peut-il endiguer ce phénomène?

Non, d’après Bénédicte Desforges: «Ils ne peuvent pas. De la même façon qu’ils ne peuvent pas empêcher les gens de faire usage de drogues. Ils auront beau fermer tous les robinets, les gens en trouveront d’autres. La drogue, ce n’est pas une histoire d’offre mais de demande.»
Impossible d’empêcher cette pratique

Comme le souligne la co-fondatrice du collectif Police contre la prohibition, «dans un coin de leur tête [au gouvernement, ndlr], il y a aussi des flics et des gendarmes qui l’ont bien compris, ils savent que ces gens ne font pas de mal.»

«Ceux qui autoproduisent ne font pas affaire avec le marché noir, ne font pas circuler de l’argent sale, ne troublent pas l’ordre public, n’alimentent pas le trafic. Généralement, c’est pour de la consommation personnelle, au pire, si la récolte a été bonne, ils vont donner un peu d’herbe à leurs potes.»

Néanmoins, certains trafiquants ont compris l’intérêt de produire localement et tentent de cultiver des plants en quantité industrielle.

«La période du confinement a permis de constater que, face aux difficultés d’acheminement du cannabis de l’étranger par voie terrestre, nombre de trafiquants se réorientaient vers la culture indoor sur le territoire national», analyse pour Le Figaro le contrôleur général Samuel Vuelta-Simon, chef adjoint de l’Office anti-stupéfiant (Ofast).

Remettre en cause la politique du chiffre

Bénédicte Desforges rappelle la différence entre «ceux qui plantent des centaines de pieds de cannabis, là on parle de production de stupéfiants, ce qui est dans l’absolu un crime [punissable de 20 ans de réclusion et 7.500.000 euros d’amende (article 222-35 du code pénal), ndlr]» et les «jardiniers du dimanche».

«Logiquement, l’auto-culture c’est comme si vous fabriquiez de la méthamphétamine dans une cuisine. Sauf que dans la pratique, vous pensez bien que les juges ne jugent pas ça en tant que production de stupéfiants mais comme de la détention et usage.»

Selon l’ex-lieutenant de police, «tous ces gendarmes qui vous font une saisie de deux ou trois plants par ici, une dizaine de plants par-là, qui mettent les gens en garde à vue, qu’est-ce qu’ils font?».

«Ils relèvent une infraction dont le taux d’élucidation est de 100%: aussitôt constaté, aussitôt élucidé. C’est la recette de la politique du chiffre, avec en plus une communication qui peut être très visuelle.»

Pour Bénédicte Desforges, «l’auto-culture est donc un faux problème» face au véritable trafic et à l’essor du «Dark web» pour s’approvisionner en drogue. 56% de l’activité «proactive» des forces de l’ordre

La co-fondatrice finit par pointer la politique des différents gouvernements concernant les stupéfiants, mais également le regard des Français sur les usagers de cannabis. Et pour cause, «il faut savoir que l’activité proactive des forces de l’ordre, à 56%, c’est la répression de l’usage de « stup ». Laquelle est à plus de 90% de la répression de fumeur de cannabis [chiffres basés sur une période d’un an, de septembre 2014 à août 2015, ndlr]. Cette répression coûte 1,13 milliards d’euros», détaille-t-elle.

«Quand on parle de sécurité et des gens qui ne se sentent pas en sécurité, si l’opinion publique savaient que les flics, lorsqu’ils ne sont pas occupés à garder une porte ou à prendre une plainte, ils cavalent après des fumeurs de cannabis, peut-être qu’ils regarderaient le problème sous un autre angle», conclut Bénédicte Desforges.

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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