Le futur !
Cette merveilleuse chose pleine de robots serviables, de voitures volantes et d’apocalypse climatique.
Le futur, il paraît que c’est là-bas que tout va se passer.
Personnellement, j’ai opté pour le passé. Oui, ce bon vieux temps où l’on savait être heureux sans avoir à publier nos plats sur Instagram ni vérifier nos sms à minuit.
Quel bonheur c’était hier !
Enfin, pas exactement hier, mais plutôt une vague de hier que personne ne sait vraiment dater précisément, mais qui était forcément mieux qu’aujourd’hui. Nous sommes nombreux à avoir choisi ce magnifique refuge qu’est le passé, car le futur semble terrifiant, le présent insupportable et l’époque actuelle complètement dépassée.
Aujourd’hui, le futur nous terrorise tellement que nous préférons passer nos journées à regarder nostalgiquement en arrière, regrettant ces temps jadis où la plus grande angoisse était de rater son épisode préféré à la télévision parce qu’il fallait aller dîner en famille. Étrangement, c’était ça, le bonheur !
Autrefois les choses étaient plus simples, pas de notifications permanentes, pas de défis absurdes lancés sur TikTok par des ados de 13 ans plus riches et plus célèbres que nous, pas de selfies filtrés montrant des vies parfaitement fausses mais idéalement enviables. Nous avions des choses tellement plus intéressantes à faire, comme attendre qu’une page internet charge pendant cinq minutes, ou rebobiner nos cassettes avec un crayon.
La nostalgie était alors une activité saine, ponctuée par des regrets légers du type « mince, j’aurais dû enregistrer ce film » plutôt que « j’ai probablement raté toute mon existence ». Aujourd’hui avouons-le, la seule compétence vraiment requise pour survivre semble être la capacité à gérer une anxiété constante face à l’avenir incertain.
Oui cher lecteur, bienvenue dans cette époque où tout est rapide sauf nos réalisations personnelles, où la peur de rater sa vie commence étrangement vers l’âge de 14 ans et se termine probablement au moment où l’on oublie même de se demander si on a vraiment vécu. Nous sommes spécialiste incontesté du gaspillage temporel.
Le passé est un bon endroit. Pas parce qu’il était objectivement merveilleux, mais parce qu’il est fini, verrouillé, immobile comme une photo jaunie qu’on peut observer sans risques. Nous nous lamentons avec passion sur ce que nous n’avons pas vécu, tout en étant incapables de supporter ce que nous vivons actuellement.
Prenons un instant pour compatir avec ceux qui, comme moi, pensent avoir gaspillé leur adolescence enfermés dans leur chambre, fascinés par des mondes virtuels, espérant naïvement que la vraie vie attendrait gentiment dehors, le temps qu’on se décide à sortir.
Résultat, nous voilà aujourd’hui des adultes perdus, à mi-chemin entre nostalgie maladive et angoisse du lendemain, obsédés par le fait que chaque minute écoulée sans accomplissement est un gaspillage irrattrapable.
Mais voyons le bon côté des choses, si tout le monde autour de nous semble avoir réussi, c’est simplement que les réseaux sociaux ont parfaitement réussi leur boulot de maquillage existentiel. Derrière ces sourires Instagram, ces vacances paradisiaques se cachent probablement des crises existentielles aussi profondes que les nôtres, mais mieux photographiées.
Alors, quel est l’intérêt de faire quoi que ce soit si nous allons tous mourir un jour ?
Soyons clairs, aujourd’hui est abominable, demain sera pire !
La vérité, c’est que nous ne vivons plus vraiment. Nous nous contentons de passer d’une crise d’angoisse à une autre, obsédés par l’idée que chaque décision prise est une erreur irrémédiable qui nous éloigne toujours plus d’une quelconque forme de bonheur. Le monde actuel et sa technologie envahissante, ses exigences absurdes et son hypocrisie sociale permanente est une prison qui nous contraint à une solitude toujours plus sombre.
Rire un peu de notre propre tragédie humaine, partager une ou deux bonnes blagues cyniques avec un ami tout aussi perdu, ou simplement pour savourer un café chaud pendant qu’il est encore temps. Après tout si le passé nous semble tellement plus séduisant, c’est sans doute parce qu’on sait exactement comment il se termine. Et ça, dans notre époque où même l’avenir est incertain, c’est déjà pas mal.
« L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour cela que le présent nous échappe. »Gustave Flaubert