David SCHMIDTFrance

Les «oubliés de la République»

Les petites communes veulent exister face à l'ogre libéral

Depuis des années, les ruraux subissent de plein fouet la doxa libérale : baisse des services publics, sentiment de mépris par les citadins et les gouvernants, baisse de dotation, etc. Face à cela, un maire, Stéphane Loth, veut engager la lutte.

Maire d’une commune de 102 habitants, Stéphane Loth prend son bâton de pèlerin. Ce «petit maire» de Talmont-sur-Gironde est très engagé politiquement. Membre de plusieurs mouvements politiques (dans le courant gaulliste d’Oser La France, chez Les Républicains et à l’Unité nationale citoyenne), il conduit – presque logiquement pour le maire d’une petite commune – une équipe municipale toute tendance politique confondue. Stéphane Loth le confesse, tout son engagement politique est un combat mené chevillé au corps : celui de réveiller les consciences chez les défenseurs de la ruralité. Cette ruralité composée d’élus et de citoyens fait partie, selon lui, «des oubliés de la République». Alors même que la commune rurale est un lieu de démocratie, comme aime le répéter Stéphane Loth : «La commune rurale est le lieu où les Français votent le plus à toutes les élections comparé aux grandes villes».

Les petites communes veulent exister face à l’ogre libéral

L’élu est donc en colère. Concernant son village, il observe une baisse des dotations d’Etat depuis 2014 (année de sa première élection), passant de 48 000 à 29 000 euros en 2019. Selon ses dires, il se voit par ailleurs ponctionner par l’action politique d’Emmanuel Macron de 50 000 euros de taxes sur un parking d’aire paysagère rapportant actuellement près de 300 000 euros – l’une des mesures de politique locale est par conséquent d’augmenter le prix du parking pour compenser la nouvelle taxe. Talmont-sur-Gironde subit aussi la suppression des aides associatives pour l’emploi de deux de ses agents. Dans un souci budgétaire, le gouvernement les a en effet réduites drastiquement mais Stéphane Loth ne veut pas baisser les bras.

Le 1er mars, il fonde ainsi un mouvement politique qui se veut transpartisan de gauche à droite, La Ruralité citoyenne. «La plupart du temps, le monde rural n’est pas du tout encarté politiquement», justifie-t-il. Stéphane Loth confie avoir pour l’instant reçu le soutien d’une vingtaine de maires. Au demeurant, La Ruralité citoyenne ne se limite pas aux seuls élus ruraux. Stéphane Loth précise que tous les citoyens se sentant concernés par la charte du mouvement, en faveur de la ruralité, peuvent s’inscrire dans la démarche.

Depuis trente ans, tous les politiques que ce soit de gauche, du centre ou de droite, tous ont mis en marche la machine à  destruction de la commune rurale

Parmi les causes défendues par la charte, Stéphane Loth veut promouvoir les conditions de vie des administrés des communes rurales. «Dans le monde rural, les services de proximité n’existent plus», s’indigne l’édile qui accuse les gouvernants quelle que soit leur couleur politique : «Depuis trente ans, tous les politiques que ce soit de gauche, du centre ou de droite, tous, ont mis en marche la machine à destruction de la commune rurale.» Stéphane Loth voit un engrenage qui s’est mis en route «sous l’impulsion de l’Europe», ses recommandations d’austérité visant à réduire le nombre de communes françaises, le plus élevé d’Europe (34 968 communes au 1er mars 2019). «Nos dirigeants politiques français ont l’obsession de vouloir purement et simplement tuer le premier échelon le plus apprécié des Français», se scandalise de fait l’élu qui note que près de 2 000 communes ont disparu en l’espace de ces cinq dernières années. Le premier magistrat de Talmont signale d’ailleurs qu’en 1794, sous la Ière République, la France comptait près de 40 000 communes, rappelant ainsi aux dirigeants politiques que la commune est «l’un des piliers de notre République», défendue par «la Constitution».

Premières victimes de la baisse des dotations, les maires ruraux mènent la frondeLes petites communes rurales se révoltent face aux baisses des dotations de l'Etat (image d'illustration)

Stéphane Loth dénonce logiquement les volontés gouvernementales de pousser à la fusion des petites communes dans des «communes nouvelles» pour des gains d’économie. «Une ineptie, un mensonge, le but à terme des communes nouvelles est de supprimer la petite commune», assure Stéphane Loth qui explique que la loi NOTRe (fusion de régions en super-régions) illustre parfaitement le non-sens économique. Plus de quatre ans après l’application de la loi de réorganisation territoriale, on constate effectivement que les super-régions coûtent davantage aux pouvoirs publics : une nouvelle bureaucratie s’est installée, la nouvelle institution a dû recruter des agents pour superviser et chapeauter les personnels des organisations territoriales précédentes, de nouveaux besoins se sont créés, etc.

A l’image des super-intercommunalités et des super-régions fondées avec la loi NOTRe, «pas besoin d’être philosophe pour comprendre que les fusions de communes vont nous coûter plus», tempête Stéphane Loth. Il liste ainsi une hausse de dépenses : le recrutement par exemple d’un «cantonnier en chef» pour gérer les cantonniers des villages fusionnés, l’augmentation des indemnités pour les élus de la super-commune, la création obligatoire d’un poste de directeur général de services qui n’existait pourtant pas avant fusion, etc. «Or, la petite mairie, c’est celle qui gère le mieux ses finances publiques et qui met en place un véritable budget car elle est attentive à tout», argumente Stéphane Loth.

Emmanuel Macron propose un agenda rural, «de la poudre aux yeux» ?

Le fondateur de La Ruralité citoyenne déplore aussi la perte pour les communes, avec la loi NOTRe, de certaines compétences au bénéfice de l’intercommunalité comme «les cartes d’identité» (renouvellement ou création de celles-ci), «l’urbanisme» ou «le social» : «On devient une chambre d’enregistrement.» Il se dit aussi scandalisé par la stratégie d’Emmanuel Macron pour réinstaurer des services de l’Etat avec la promesse de créer, dans chaque canton, des «maisons France services» : «On se moquerait pas un peu de nous ? On va créer une maison citoyenne alors que la première maison citoyenne de France c’est la mairie».

En somme, Stéphane Loth considère que les pouvoirs publics ne respectent pas les communes rurales : «Emmanuel Macron veut nous brosser dans le poil avec un agenda rural [promis à l’issue du grand débat national] pour lutter contre la désertification, mais c’est de la poudre aux yeux». Stéphane Loth donne un exemple récent qui l’a scandalisé : «J’étais au congrès des maires ruraux il y a à peine un mois, le Premier ministre Edouard Philippe nous a expliqué textuellement, « il n’y aura aucun service public de trésorerie qui fermera dans les communes tant qu’il y aura des maires qui s’opposeront ». Deux jours plus tard, je reçois un mail de l’intercommunalité, à la suite d’un courrier de l’Etat, m’obligeant à faire une délibération en urgence pour la suppression du service Trésor public sur mon territoire et que, de toute façon, si je ne prenais pas part à cette délibération, ce service allait de fait disparaître.»

Un maire Gilet jaune

Ce maire en colère avoue en outre avec «fierté» qu’il est l’un des seuls maires de son territoire à avoir soutenu les Gilets jaunes et avoir manifesté avec eux jusqu’à Paris. Désormais, il ne cache pas son amertume de voir le mouvement noyauté par des extrémistes ayant dévoyé le discours originel. Il souligne malgré tout, qu’à l’origine, le mouvement a été créé grâce aux ruraux : «Les ruraux ont bien vu que certaines mesures allaient davantage les impacter que les urbains, comme la hausse des prix de l’essence ou la limitation à 80 kilomètres/heure.» «Il y a eu un ras-le-bol», exprime Stéphane Loth qui n’a pas hésité, au début de la contestation sociale, à ouvrir sa mairie un samedi, habituellement fermée, afin de mettre en place un cahier de doléances dans sa commune, pour tous les Gilets jaunes de son département.

Emmanuel Macron est très intelligent mais il a seulement mis un couvercle sur la cocotte minute qui continue à fumer… et elle va exploser

Que pense alors ce maire rural des mesures d’urgence d’Emmanuel Macron en décembre 2019 afin de répondre à la crise sociale ? «Emmanuel Macron est très intelligent mais il a seulement mis un couvercle sur la cocotte minute qui continue à fumer… et elle va exploser», prévient Stéphane Loth, en donnant quelques éléments déclencheurs : «Il y a une augmentation de tout, y compris de l’essence qui continue de grimper, alors que les salaires n’augmentent pas ; il y a un appauvrissement du pays ; il y a un sentiment d’insécurité ; il y a aussi cette impression d’impunité pour certains comme Alexandre Benalla…»

Pour Stéphane Loth, Emmanuel Macron a réussi à mettre temporairement le couvercle sur cette marmite, comme lorsque le président a invité les maires à l’Elysée le 21 novembre 2018 ou lorsqu’il est allé à la rencontre des territoires ruraux entre janvier et mars 2018. «Cela a a plutôt bien marché mais les maires sont en train de se rebiffer», ajoute-t-il. «Emmanuel Macron a le droit de faire des erreurs mais il s’entête et est arrogant», accuse-t-il. Stéphane Loth fait la prédiction que beaucoup de maires lassés et exaspérés ne se représenteront pas lors des prochaines municipales de 2020, remplacés par de nouveaux élus «beaucoup plus virulents».

Avant les échéances électorales de mars 2020, Stéphane Loth a déjà fait un premier minitour de France dans plusieurs départements en Lorraine ou dans la Drôme afin de présenter son mouvement. Le congrès des maires prévus du 18 au 21 novembre sera aussi l’occasion de convaincre un maximum d’élus, avec pour leitmotiv que «l’avenir passera par la commune rurale». Dans cette optique, La Ruralité citoyenne a pour ambition de présenter des candidats sous cette étiquette lors des prochaines sénatoriales, prévus en septembre 2020.

Source : Bastien Gouly pour RT France

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

Articles similaires

Donnez-nous votre avis sur cette article !

Bouton retour en haut de la page