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Les troupes françaises se retire du Mali

Neuf ans après son arrivée au Mali, l’armée française plie bagage.

Malgré plusieurs succès sur le plan militaire, Paris laisse derrière lui un bilan mitigé. Pour Sega Diarrah, politologue malien, il est même question d’échec.

La France a acté son départ du Mali avec la fin de l’opération Barkhane. Pour Paris, les conditions de la lutte antiterroriste ne sont plus réunies. Ainsi la France entend-elle se redéployer dans d’autres pays de la région pour continuer de lutter contre les groupes armés terroristes (GAT) dans la région.

Après neuf années d’intervention, puis d’accompagnement des forces maliennes dans la lutte antiterroriste, la France laisse derrière elle un pays toujours aussi instable. Sur le plan sécuritaire, « la situation est, et reste précaire », explique le politologue malien Sega Diarrah. « Et ce, même dans des zones qui n’étaient pas encore menacées avant l’intervention française », ajoute-t-il.

Pourtant, Emmanuel Macron se refuse à parler de revers français au Mali. Une erreur d’analyse, selon notre interlocuteur. « Ce retrait est un aveu d’impuissance et un aveu d’échec par rapport à la menace qui plane sur le Mali », estime-t-il.

Sega Diarrah considère toutefois que le Mali pourrait profiter de ce retrait pour tourner une page dans la lutte antiterroriste et en ouvrir une nouvelle. D’une part en reprenant le contrôle de cet effort militaire, mais aussi en diversifiant les partenaires susceptibles d’aider Bamako dans son combat, notamment la Russie.

Le Mali fustige la France après l’annonce de son retrait militaire

La décision de la France de retirer ses forces du Mali viole les accords bilatéraux entre Paris et Bamako, a estimé le gouvernement malien au lendemain de l’annonce française.

Le gouvernement de transition malien a déclaré avoir pris note de la décision de la France de retirer ses forces, laquelle viole les accords entre Paris et Bamako.

Les autorités maliennes ont appelé la France à faire quitter leur territoire à ses troupes sans délai, sous supervision du gouvernement malien, a précisé le porte-parole de la junte au pouvoir, à la télévision nationale.

« Entre quatre et six mois »

La France et ses partenaires impliqués dans la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ont décidé de retirer leurs forces militaires du Mali, jugeant désormais impossible de coopérer avec la junte malienne, ont-ils annoncé le 17 février dans une déclaration commune.

Selon Emmanuel Macron, le retrait des troupes françaises « va prendre entre quatre et six mois ».
« Le cœur de cette opération ne sera plus au Mali mais au Niger, dans la zone des trois frontières, de manière plus équilibrée », a ajouté le Président de la République.

C’est peut-être juste le début des problèmes

Après neuf ans de présence au Mali, la France et ses alliés européens vont redéployer leurs forces au Niger voisin. Retour avec le colonel Hogard sur une crise nourrie par l’inconsistance de l’Élysée, qui a mis à mal l’image de la France en Afrique.

Le Mali, c’est fini. Lors d’une conférence de presse à l’Élysée aux côtés de Charles Michel, président du Conseil européen, et de son homologue sénégalais Macky Sall, Emmanuel Macron a annoncé le « retrait coordonné » de la France et de ses partenaires du territoire malien. « Ce retrait se traduira par la fermeture des emprises de Gossi, de Ménaka et de Gao », a précisé le chef de l’État, soient les dernières bases après la fermeture de celles de Kidal, Tessalit et Tombouctou, annoncées en juillet 2020.

Pour autant, pas question de se retirer de la bande sahélo-saharienne. « Des éléments européens seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali », assure le locataire de l’Élysée.

Paris, un manque de vision « consternant »

Il faut dire que la violence n’a eu de cesse de progresser ces dernières années. Selon un rapport de l’Onu, le nombre de victimes civiles au Burkina Faso, au Mali et au Niger a été multiplié par trois entre 2016 et 2019, passant de 770 à 4.000. Même son de cloche dans un rapport de l’ACLED (Armed Conflict Location & Event Data Project), qui fait état d’une multiplication par cinq des victimes des violences dans la région. Point saillant de l’étude de cette ONG américaine spécialisée dans l’analyse des crises: en 2020, les civils auraient été plus victimes des exactions des armées régulières que de celles des groupes armés.

« C’est l’échec. Il y a huit ans, on était acclamé à Tombouctou, à Bamako, “le plus beau jour de ma vie”, déclarait François Hollande. Huit ans plus tard, on en est là… Et honnêtement, ce n’est pas la faute des militaires, mais celle des politiques qui n’ont aucune vision ni stratégie », réagit auprès de Sputnik le colonel Hogard, ancien officier de Légion et des forces spéciales.

Ce fin connaisseur de la région se dit « consterné » par le manque de vision de l’Élysée. En effet, si les soldats français ont enchaîné les succès tactiques sur le terrain, ils n’ont pas été transformés sur le plan politique par Paris.

Jamais en neuf ans, la France n’aura fait pression sur les autorités africaines qu’elle soutient pourtant militairement et financièrement, afin qu’elles traitent le problème à la racine. En l’occurrence, une corruption endémique et des tensions interethniques. Ainsi, le Mali est-il rongé par des conflits entre Peuls et Touareg d’une part et Peuls, Bambaras et Dogons de l’autre.

Malgré ce diagnostic dressé de longue date, l’exécutif français a persévéré dans son approche: toute opposition aux pouvoirs centraux était considérée comme « terroriste ». « Il y a des islamistes, mais il y a aussi ceux qu’on a fabriqués nous-mêmes, par bêtise, par défaut de compréhension », fustige Jacques Hogard.
Des « incohérences qui nous coûtent cher »

Lors de son allocution, Emmanuel Macron n’a pas manqué d’évoquer Al-Qaïda* et Daesh*, organisations terroristes qui ont fait de l’Afrique « une priorité de leur stratégie d’expansion ». Dans le collimateur du locataire de l’Élysée, on retrouve également Bamako… et les Russes.

« Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait, dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés […] La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. Elle ne doit pas, sous prétexte d’être une priorité absolue, se transformer en exercice de conservation indéfinie du pouvoir. Elle ne peut pas non plus justifier une escalade de la violence par le recours à des mercenaires, dont les exactions sont documentées en République centrafricaine », a développé Macron.

Depuis le premier coup d’État du colonel Assimi Goïta, en août 2020, Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian, son ministre des Affaires étrangères, ont pris en grippe les nouvelles autorités maliennes. La surenchère verbale entre Paris et Bamako aboutira au rappel des ambassadeurs.

Pour l’ancien officier de Légion, si en effet, « on ne peut pas rester dans un pays dont les autorités vous couvrent d’injures », celui-ci regrette le deux poids, deux mesures auquel s’est livrée la Macronie au Sahel. Car aux yeux du Quai d’Orsay et de l’Élysée, le Président de transition de la République du Mali et depuis peu, celui du Burkina Faso sont persona non grata, mais il n’en est rien pour leur homologue tchadien. Emmanuel Macron s’était ainsi rendu aux funérailles d’Idriss Deby en avril 2021, qui furent l’occasion d’adouber son fils, lequel a repris les rênes d’un règne de 31 ans.

« C’est ce type d’incohérences qui nous coûtent cher! » fustige le colonel Hogard. Pour lui, ce manque de « vision stratégique »de « jeunes énarques qui ne connaissent rien à l’Afrique » affaiblit considérablement l’image de la France sur le continent africain.

« C’est triste, car tout cela est en train de montrer la faiblesse de la France en Afrique francophone, dont certains profiteront à notre détriment ». Pire encore, cette « démission » de la France met à ses yeux en péril tous les pays francophones. « On n’est peut-être qu’au début de nos emmerdements », estime-t-il avant de conclure : « On a creusé nous-mêmes le trou dans lequel on est en train de s’enterrer. »

Comment s’effectuera le retrait de la France et de ses alliés du Mali ?

Pointant de « multiples obstructions des autorités de transition maliennes », la France, de concert avec ses alliés, quitte le pays. Alors que le retrait des forces sera effectué « progressivement », une partie des soldats français resteront au Sahel, ils seront redéployés dans d’autres pays pour continuer la lutte antiterroriste, explique Paris.
Une décision qui était pressentie depuis plusieurs mois. La France ainsi que ses alliés européens et le Canada ont annoncé leur retrait officiel du Mali. En cause, l’aggravation des relations avec la junte au pouvoir, « dont [la France et ses partenaires] ne partage[nt] pas ni la stratégie ni les objectifs cachés ». Les coups d’État en 2020 et fin 2021 jouent un rôle de facteur aggravant.

Présente militairement depuis 2013 dans ce pays en proie aux groupes djihadistes, comme beaucoup d’autres pays du Sahel, la France envisage toutefois de maintenir une partie de ses unités au sein de cette région même. En voici des détails.

Le retrait en quelques chiffres

Ce 17 février, durant la conférence de presse à l’Élysée tenue conjointement avec le président du Conseil européen Charles Michel et les Présidents sénégalais et ghanéen, Emmanuel Macron a précisé les délais du retrait des forces.

« Nous allons donc progressivement fermer, dans un exercice qui va prendre 4 à 6 mois, les bases qui sont présentes au Mali ».

Le porte-parole de l’état-major français, le colonel Pascal Ianni, a précisé lors d’un point presse à Paris qu’actuellement 4.600 militaires français étaient déployés dans la bande du Sahel, dont 2.400 au Mali.
« À la fin [du retrait], nous serons sur un volume de 2.500 à 3.000 hommes », a-t-il indiqué.
Selon l’Élysée, quelque 25.000 hommes sont actuellement déployés au Sahel, dont environ 4.300 sont français. Le Mali accueille en outre 15.000 soldats de l’Onu au sein de la MINUSMA.

Fin de l’opération Barkhane

Il ne s’agit donc pas de la fin de l’opération antidjihadiste Barkhane en tant que telle. À travers celle-ci, la France est engagée avec des partenaires régionaux comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad depuis le 1er août 2014. Elle continuera malgré ce retrait, mais prendra une autre forme.

« Des éléments européens seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali.

Le cœur de cette action ne sera plus au Mali, mais sera au Niger », a indiqué Emmanuel Macron.

Confirmant à son tour que « cette réarticulation » de l’opération prendrait « environ six mois », le colonel Ianni a assuré qu’ils iraient « continuer [leurs] actions contre les groupes armés terroristes ».

« Pendant ce temps […] nous allons continuer d’assurer les missions de sécurisation de la MINUSMA » la mission de l’Onu au Mali, forte de plus de 13.000 Casques bleus », a-t-il expliqué.
Ainsi, suite à la transformation de l’opération Barkhane, la Task Force Takuba est censée devenir un des piliers de la lutte antidjihadiste que la France et ses partenaires européens continueront à mener au Sahel.

La présence de l’UE au Sahel après le retrait français

Suite à ce retrait décisif, l’Union européenne souhaite vérifier si les conditions et les garanties sont remplies pour maintenir ses missions de formation au Mali.

« J’ai envoyé une mission au Mali afin de vérifier avec les autorités maliennes sous quelles conditions et sous quelles garanties nous pourrions envisager la possibilité de garder ou de ne pas garder notre travail de mission de formation. La réponse viendra dans les prochains jours », a déclaré ce 17 février Josep Borrell.

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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