Psychologie

Peut-on être libre de toute idéologie.

Avec ces conséquences ...

L’idéologie encourage les raisonnements douteux en raison de ce que les psychologues appellent la “cognition motivée”, c’est-à-dire le fait de décider ce que l’on veut croire et d’utiliser son pouvoir de raisonnement, de toutes ses forces, pour y parvenir.

Pire, elle encourage le fanatisme, le mépris des résultats sociaux et invite à des disputes philosophiques insolubles. Elle menace également le pluralisme social c’est-à-dire qu’elle menace la liberté.

La meilleure alternative n’est pas le relativisme moral. La meilleure alternative est la modération, une denrée qui disparaît rapidement dans la vie politique, avec des conséquences dangereuses pour la république.

Laisser l’idéologie de côté en adoptant une culture idéologique qui n’est probablement pas la vôtre, le monde du libertarianisme vous expliques les raisons pour lesquelles on abandonne.

Je ne cherche pas ici à régler de vieux comptes ou à critiquer des amis ou anciens collègues. Après tout, les convictions qui me font défaut aujourd’hui sont celles-là mêmes que j’ai défendues pendant la majeure partie de ma vie d’adulte.

Je veux simplement mettre en évidence les pièges de la pensée idéologique, illustrer ces pièges dans le monde que je connais le mieux et plaider pour quelque chose de mieux.

Idéologie = cognition motivée

Les premiers doutes sur mes anciens attachements idéologiques sont nés de ma perte de confiance dans les arguments. Lorsque j’ai commencé à exprimer des doutes sur les récits proposés par l’entourage proche ou du moment, j’ai constaté qu’il était impossible de proposer un argument qui trouve un écho auprès d’autre personne. Par exemple celui qui vous dit qu’il faut sortir du nucléaire grâce au éolienne … Arrêtez de vous faire enfumé !

Et qu’est-ce que le libertarisme a à apporter en ce qui concerne les arguments en faveur d’une couverture contre des risques incroyablement dangereux découlant de la mauvaise utilisation d’une ressource commune, telle que le vivre ensemble ?

Les libertaires n’ont absolument rien à apporter à la conversation sur la science du changement des comportements en tant que libertaires. Ils pourraient toutefois rassembler leurs idées idéologiques pour suggérer les meilleurs moyens de lutter contre les formes d’occultismes si celui-ci s’avère effectivement justifier une réponse politique (comme je le crois).

Mais bien des collègues ne souhaitaient pas s’engager dans ces conversations “si/alors”. Ils n’étaient intéressés que par une culture ou traditions familiales au détriment de l’unité française et de ces valeurs et du vivre ensemble.

Ce problème s’étendait au-delà du domaine du simple citoyen . À maintes reprises, des amis et des collègues libertaires se sont engagés dans des débats féroces et sans concession sur des questions empiriques qui n’avaient rien à voir avec les principes ou les engagements libertaires. Un libertaire pourrait prendre parti pour l’une ou l’autre de ces questions sans avoir à renoncer à aucun de ses principes ou croyances fondamentales. Mais franchir la ligne républicaine sur ces questions ou sur de questions empiriques similaires, c’était risquer le conflit.

Le fait est que ce que les idéologues croient farouchement à propos des arguments empiriques a peu à voir avec leurs a priori idéologiques. Cela a à voir avec les implications politiques de ces arguments empiriques compte tenu de leurs préférences idéologiques.

Nous ne devrions pas reculer devant la vérité en fonction de ce que cette vérité pourrait signifier pour nos croyances préexistantes. Je connais bien les libertaires et ils ont tendance à accepter cela en théorie, mais comme tous les idéologues, ils ont du mal à l’accepter en pratique. Les libertaires ne se soucient pas du gouvernement parce qu’ils pensent qu’il est intrinsèquement coercitif et destructeur de la liberté individuelle. Ils sont donc très motivés pour rejeter les arguments qui pourraient suggérer un besoin important de gouvernement, ou les preuves qui offrent une mise en garde contre les conséquences négatives qui pourraient découler d’une réduction du pouvoir gouvernemental.

La raison est l’esclave des passions, et les passions libertaires vont dans une seule et unique direction : l’hostilité envers le gouvernement. Cette passion est un puissant moteur de cognition motivée, qui conduit invariablement à une analyse politique faible et au dogmatisme.

Les principes, quoi qu’il arrive

Certains de mes anciens collègues, amis ou connaissances ont soutenu que leurs engagements idéologiques étaient ancrés dans un principe moral concernant la façon dont la société devrait être ordonnée (pour les libertaires, “la liberté, pour le bien ou pour le mal !”). Cependant, lorsqu’on les pressait, ils concédaient généralement qu’ils pensaient que leurs engagements idéologiques produiraient de meilleurs résultats sociaux, et que si cela s’avérait faux, ils devraient réévaluer leurs convictions. Il s’agit d’une concession importante dans la mesure où elle qualifie l’engagement de l’idéologue envers le principe : le principe doit avoir de bons résultats.

Toute idéologie qui ne se préoccupe pas de l’impact réel de ses idées sur la société relève de la folie.

Cette folie, cependant, apparaît souvent dans les communautés parce que leur attachement au principe est si puissant qu’il devient une fin en soi. Par exemple, dans mes anciens cercles, les libertaires s’opposent passionnément à l’État, mais ne fournissent que peu de preuves sur le type de société qui pourrait réellement naître dans le monde moderne si l’État disparaissait en grande partie. L’intellectuel se sent plus impressionnant pour avoir embrassé la cause libertaire qui n’a absolument rien à dire à le sujet qu’est l’Anarchie.

Il y a une bonne raison à cette omission. Où que nous regardions dans le monde, lorsque nous voyons des gouvernements inconséquents au pouvoir limité, comme le préféreraient les libertariens, nous voyons des “États en faillite”. Quelle est la part de liberté et de dignité humaine que l’on peut y trouver ? Très peu.

C’est d’ailleurs le point principal de l’une des meilleures répliques contemporaines au libertarianisme. L’argument  est que, sans gouvernement, nous n’avons généralement pas de liberté et d’autonomie sans contrainte. Nous avons à la place la règle de la famille, de la caste, de sa religion, des syndicats criminels ou de tout autre agent non gouvernemental. Historiquement parlant, ces agents non gouvernementaux ont fait beaucoup plus de mal à la liberté et à l’autonomie individuelles que les États providence modernes. L’État-providence moderne a eu tendance à étendre la liberté en utilisant son pouvoir pour libérer les gens de l’oppression et des privations qui découlaient si souvent de la domination d’acteurs non gouvernementaux.

Quelle est la quantité de liberté et de dignité humaine que l’on peut trouver dans un monde où le pouvoir de l’État s’effondre et est surmonté par le pouvoir privé ? Très peu.

Ce point a été bien mis en évidence par un homme qui se présente comme témoin d’un crime sans savoir qu’il a été commis par un chef de la mafia. Son avocat l’appelle pour lui dire qu’il s’est mis par inadvertance dans le collimateur de la mafia. Notre citoyen inquiet devient blanc et appelle frénétiquement la police pour revenir sur sa déclaration. Le message est clair : “Dans une société “apatride” où tout devrait être organisé par des contrats individuels librement conclus, les marchés se détérioreront en crime organisé et en corruption.” Pour les idéologues, il est rare que l’on se préoccupe des implications réelles de leurs visions qui passent de la (belle) théorie à la pratique (désordonnée).

L’utilité limitée des principes

Comment devrions-nous interpréter et appliquer nos principes idéologiques ?
C’est souvent loin d’être clair. Il s’avère que l’application de nostrums généraux dans le monde réel n’est pas une tâche si facile. Bien que la plupart des libertaires proposent, par exemple, des objections de principe aux préférences raciales imposées par l’État, on peut également trouver des libertaires qui invoquent ces mêmes principes pour défendre la discrimination positive et les réparations accordées aux Afro-Américains. Bien que la plupart des libertariens s’opposent aux syndicats en tant qu’entreprises coercitives et socialistes, les principes libertariens ont également été invoqués pour justifier l’opposition à des lois antisyndicales comme les lois sur le droit au travail.

En outre, tous les libertariens conviennent qu’il existe des exceptions à leur opposition, motivée par l’éthique, à l’utilisation de la coercition et de la force par le gouvernement. S’il n’y en avait pas, il n’y aurait pas de libertaires, il n’y aurait que des anarchistes.

Mais quelle est l’ampleur et la portée de ces exceptions ?

Une fois encore, ce n’est pas clair. Certains libertaires adhèrent à une version de “l’État gardien de nuit”, qui offre peu d’exceptions aux principes libertaires, tandis que d’autres approuvent toutes sortes d’exceptions ou des appels clairs à l’action de l’État contre l’injustice sociale. De nombreux universitaires et intellectuels publics libertariens influents ont également adopté la taxation des émissions de gaz à effet de serre, la mise en place d’une couverture santé catastrophique par l’État, un revenu de base universel garanti par l’État et un certain nombre d’autres politiques favorables au progrès …

Les débats au sein de la communauté libertaire sur la manière de comprendre la liberté, de l’appliquer et de statuer sur les exceptions à la règle de non-recours à la force gouvernementale sont féroces et sans fin. Les disputes libertaires intestines enflamment les passions au même degré que les disputes entre libéraux et conservateurs sur la signification de la Constitution de la France. Le factionnalisme au sein du monde libertaire est répandu et irrésolu parce que les principes eux-mêmes en disent moins que ce que l’on pourrait croire sur ce que devrait être la politique publique.

Un seul principe pour les gouverner tous ?

Ce que j’ai compris dernièrement, c’est qu’il est difficile de justifier le fait de rassembler des principes libertaires (aussi réfléchis et libéraux soient-ils) pour arbitrer des conflits de politique publique. Pourquoi, après tout, la liberté est-elle objectivement plus importante que d’autres considérations auxquelles tiennent des millions de personnes dans ce pays, comme la recherche de la justice sociale, de l’équité, de la communauté, de la vertu, l’art de l’Etat de nous faire croire qu’elle a une âme, du pluralisme, du bien-être matériel, ou de toute autre préoccupation qui anime les gens en politique.

L’idéologie n’est rien d’autre que l’élévation d’une préoccupation particulière comme étant plus importante que les autres. Toutefois, l’obsession d’un seul problème, aussi important soit-il, est toujours dangereuse en politique ; sauf en temps de guerre, aucune société n’a une vie si simple qu’un seul de ses éléments puisse, sans perte, devenir le centre et la circonférence de toute l’activité politique.

Il n’y a rien de mal à ce que la défense d’une politique s’appuie sur un engagement envers des principes. En fait, il nous est presque impossible de faire autrement, étant donné que les principes sont la projection des valeurs personnelles dans le domaine politique. Penser la politique sans considérations fondées sur des principes revient à penser la politique comme l’exercice du pouvoir sans limite morale.

Mais il n’y a pas de raison évidente pour laquelle nous devrions considérer qu’un principe est plus important qu’un autre dans presque tous les contextes politiques. Tous les principes valables rassemblés dans la politique du pays sont importants, mais certains le seront plus que d’autres en fonction des circonstances. Ils ne peuvent pas tous être pleinement réalisés en même temps dans une proposition politique donnée. Des compromis éthiquement difficiles sont nécessaires, et ces compromis doivent être examinés de manière transparente au cas par cas. Il y a peu de place pour l’idéologie dans cette entreprise. Il existe un mot pour désigner la poursuite monomaniaque d’une seule idée. Et ce mot, c’est le fanatisme.

Idéologie contre pluralisme

Même si vous n’êtes pas d’accord et que vous souhaitez vous accrocher à une préoccupation de principe au-dessus de toutes les autres, vous devrez quand même affronter le fait que votre attachement à cette préoccupation principale – quelle qu’elle soit – est largement personnel et subjectif. Je ne peux pas, après tout, démontrer de manière objective et concluante que vous devriez vous préoccuper davantage de la liberté individuelle que d’autres préoccupations raisonnables. De brillants philosophes et théoriciens ont été en désaccord les uns avec les autres à travers les âges sur les principes qui pourraient le mieux régir la société, et le désaccord aujourd’hui entre des esprits bien plus réfléchis que le mien est aussi commun qu’il l’a été depuis le début des temps.

Par conséquent, toute tentative de gouverner avec une boussole idéologique est vouée à l’échec étant donné l’extrême improbabilité qu’il y ait un jour un consensus social sur le principe éthique qui devrait être le premier parmi les égaux dans les délibérations politiques. Le doctrinarisme idéologique ne reconnaît pas et ne respecte pas le pluralisme de la vie sociale et politique. Il est porteur d’une perspective d’oppression politique, d’autant plus que les passions suscitées par des engagements moraux ou éthiques monomaniaques engendrent le fanatisme, la pensée manichéenne et l’extrémisme politique.

Même si nous considérons l’idéologie comme une simple lentille conceptuelle destinée à nous aider à mieux comprendre ce qui est le plus susceptible de promouvoir le bien-être humain (l’idéologie comme un dispositif de reconnaissance des modèles), nous nous heurtons à des problèmes difficiles. L’incroyable complexité des relations sociales et économiques, l’hétérogénéité des êtres humains et le problème omniprésent et irrésoluble des conséquences involontaires vont contrarier les raccourcis dogmatiques pour résoudre les problèmes. Compte tenu de notre tendance très humaine à filtrer les informations qui ne correspondent pas à notre vision du monde, et de l’attention excessive que nous portons aux informations qui vont dans le même sens, plus nous réparons nos lentilles idéologiques, plus elles se déforment grâce à un processus en spirale de biais de confirmation.

Plus important encore, la défense de l’idéologie comme lentille pour mesurer les effets des politiques sur le bien-être soulève la question de savoir comment, exactement, nous devrions définir le bien-être humain en premier lieu. Un idéologue fondé sur l’équité le définira d’une certaine manière, un utilitariste d’une autre, un idéologue libertaire d’une autre, un idéologue conservateur d’une autre encore, et ainsi de suite. En bref, toute croisade idéologique est une croisade de conquête par la force politique.

L’alternative à l’idéologie : La modération

Les problèmes que j’ai identifiés dans mon ancien monde sont universels à travers le spectre idéologique. L’idéologie corrompt les gens bienveillants, idéalistes, éduqués et intelligents… et transforme certains d’entre eux en monstres. Les idéologies engendrent la pensée dogmatique et l’analyse politique paresseuse et décodée. Elles encouragent la cognition motivée. Elles donnent naissance à une certitude excessive, évinçant un scepticisme intellectuel sain. Elles moralisent les conflits politiques de manière malsaine, ce qui engendre l’incivilité, l’extrémisme et la discorde sociale. Ils ignorent les complexités du monde moderne. Elles menacent le pluralisme qu’une (petite) société libérale se doit de respecter et de défendre.

Quelle est l’alternative à l’idéologie ?

Il n’y a pas de réponse facile. Sans un moyen de trier les tonnes d’informations qui nous parviennent chaque jour, nous serions submergés et incapables de réfléchir ou d’agir. Sans aucun principe ou croyance sous-jacente, nous sommes dangereusement susceptibles de croire n’importe quoi, aussi ridicule soit-il, et d’agir cruellement sans contrainte morale. Pourtant, tout ensemble de croyances, s’il est cohérent, est la glaise humide de l’idéologie. Par conséquent, le mieux que nous puissions faire est de contrôler l’idéologue qui sommeille en nous avec un regard étudié et sceptique, une appréciation consciente de notre propre faillibilité et un esprit ouvert et curieux.

La politique et l’élaboration des politiques sans bible idéologique sont incroyablement exigeantes. Elles requièrent une expertise et un engagement technocratiques bien plus importants que ceux des idéologues, qui connaissent déjà (pensent-ils) les réponses. Elle exige également des jugements difficiles, au cas par cas, sur les considérations éthiques qui sont d’une importance capitale pour une question donnée, et sur les compromis les plus justifiés par rapport à ces considérations.

Adopter une politique non idéologique, c’est donc adopter la modération, ce qui exige humilité, prudence, pragmatisme et un tempérament conservateur. Quels que soient les principes que nous apportons à la table politique, il est hors de question de refaire la société à l’image d’une idéologie, étant donné la nécessité de respecter le pluralisme. Une appréciation sobre des limites de la connaissance (et de l’irrésoluble problème des conséquences involontaires) nous met également en garde contre des programmes politiques trop ambitieux.

Cela nous laisse des ambitions modestes, qui laisseront sans doute les idéalistes froids. Mais ces ambitions ne doivent pas être insignifiantes ou sans queue ni tête. Nous ne sommes pas des cyborgs. Nos ambitions seront guidées par nos principes, qui sont idiosyncratiques et pondérés différemment par chacun d’entre nous. Et si les principes peuvent être l’argile humide de l’idéologie, ils ne doivent pas nécessairement se durcir en murs. Ceux dont les principes sont fortement pondérés dans des directions particulières pourraient utiliser l’adjectif “modéré”. Ceux dont les principes sont plus variés (comme les miens) pourraient utiliser “modéré” comme un nom.

Le compromis intellectuel et politique est la condition sine qua non de la modération. Mais c’est un compromis qui a un but.

“Si les modérés sont parfois prêts à sacrifier le meilleur, c’est pour ce qui est décent”, “ils le font dans le cadre d’un objectif plus large, la défense du pluralisme des idées, des principes et des intérêts essentiels au maintien et à l’entretien de la liberté dans la société moderne.”

Le compromis, cependant, a des limites. Le compromis avec le vol, le meurtre, l’esclavage ou les atteintes flagrantes à la dignité humaine est indéfendable.

Comme Martin Luther King l’a écrit dans sa célèbre Lettre de la prison de Birmingham, nous ne voulons pas adopter la position du modéré blanc des années 1960, “qui est plus dévoué à l’ordre qu’à la justice ; qui préfère une paix négative, qui est l’absence de tension, à une paix positive, qui est la présence de la justice”.

Il ne faut pas non plus transiger avec le mensonge, l’utilisation de moyens douteux pour parvenir à des fins louables, ni sur des questions de vérité scientifique, ni sur ce qui est universellement reconnu comme incontestable. Des positions fermes et des prises de position sévères sont parfois nécessaires. Et lorsque cela est nécessaire, les modérés doivent avoir le courage de se battre.

Les modérés et la politique

La modération a une mauvaise image dans la politique américaine. Méprisés par les politiciens, les modérés ont pratiquement disparu du parti républicain et sont farouchement méprisés par un nombre croissant de démocrates de ce parti. Les modérés sont considérés comme des faiseurs d’accords superficiels et banals, qui n’ont d’autre but que d’offenser le plus petit nombre possible d’électeurs.

Peu d’intellectuels publics, pour leur part, arborent la bannière de la modération ou lui accordent une grande attention rhétorique. La clarté morale, puissamment argumentée, est la monnaie du royaume intellectuel (monnaie dont j’ai moi-même fait le commerce pendant très longtemps et que j’ai encore du mal à abandonner). Le peu de considération que nous avons pour la modération dans la vie publique alimente par conséquent le fanatisme idéologique et partisan qui déchire ce pays.

Mais la modération a un noble pedigree. Les électeurs sont plus nombreux à s’identifier comme modérés que comme autre chose. En ce qui concerne les intellectuels publics, le type de modération dont il est question ici est au cœur des arguments. Le principal défi pour les modérés est la quantité limitée de tissu conjonctif qui les lie. Comment encourager des esprits rebelles dont le seul dénominateur commun est la méfiance à l’égard de l’idéologie à se serrer les coudes pour se réchauffer et à agir dans leur intérêt collectif contre de véritables idéologues, facilement unis par leurs causes et dont le zèle et la passion dépassent les bornes ?

Bien qu’il s’agisse là d’une conversation riche et intéressante pour une autre fois, l’exigence essentielle aujourd’hui est d’identifier une cause combattante qui soit conforme aux objectifs de la modération tout en stimulant un sous-ensemble suffisamment important de modérés pour les obliger à agir. Si les modérés ne sont pas aussi passionnés que les idéologues, ils seront laminés dans la politique américaine.

Sommes-nous que quelques-uns ? à avoir conservé un petit sac dans lequel, avant de nous jeter à la mer, nous avions déposé en lieu sûr les fruits les plus salutaires de la tradition intellectuelle européenne, la valeur de la recherche, le ferment du doute, la volonté de dialogue, l’esprit critique, la modération du jugement, le scrupule philologique, le sens de la complexité des choses. Beaucoup, trop, se sont privés de ce bagage : ils l’ont abandonné, le considérant comme un poids inutile ; ou bien ils ne l’ont jamais possédé, se jetant à l’eau avant d’avoir eu le temps de l’acquérir. Je ne leur fais pas de reproches ; mais je préfère la compagnie des autres. Je soupçonne d’ailleurs que cette compagnie est destinée à s’agrandir, à mesure que les années apportent la sagesse et que les événements jettent une lumière nouvelle sur les choses.

(1) Le libertarianisme, aussi appelé libertarisme, est une philosophie politique, développée aux États-Unis et dans plusieurs pays anglo-saxons. Cette philosophie repose sur l’idée qu’une société juste est une société dont les institutions respectent et protègent la liberté de chaque individu.

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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