Sciences

Un « dinosaure momifié »

La momification s'est formé d'une manière inattendue

Un dinosaure « momifié » éclaire la façon dont les tissus mous peuvent être préservés pendant des millions d’années

En examinant les restes d’un dinosaure découverts en 1999, dans le Dakota du Nord, une équipe de paléontologues a mis en évidence la façon dont ses tissus mous, en particulier sa peau et ses ongles, ont été préservés au fil du temps. Ce spécimen bien connu d’Edmontosaurus, baptisé Dakota, était incroyablement bien conservé. Des experts expliquent les processus qui ont contribué à cette momification.

Le terme « momie » est souvent utilisé pour décrire les rares fossiles de dinosaures présentant une peau (et parfois d’autres tissus mous) extrêmement bien conservée. Il est généralement considéré que de tels fossiles ne peuvent se former que dans des circonstances exceptionnelles : il faut notamment que la carcasse soit protégée des intempéries et des agents de décomposition, tels que les prédateurs et les charognards – ce qui implique l’enfouissement extrêmement rapide du cadavre. Une fois recouverts de sédiments, les restes de l’animal étaient en théorie protégés des éléments et des charognards. Des insectes, des champignons ou autres micro-organismes vivant sous terre pouvaient néanmoins s’attaquer à la carcasse, ce qui remet en question cette hypothèse d’enfouissement rapide. Une analyse récente des restes d’un dinosaure relativement bien conservé suggère l’existence d’une autre voie de préservation des tissus mous.

Une carcasse de dinosaure partiellement « nettoyée »

Le spécimen Dakota étudié ici, de la famille des hadrosauridés, a été retrouvé dans la formation de Hell Creek, datant du Crétacé supérieur ; il présente de grande plaques de peau desséchée au niveau des membres et de la queue. Les tomodensitogrammes ont montré que cette peau préservée était dégonflée, et non comprimée par les pierres sédimentaires qui la recouvraient.

L’étude des sédiments entourant ce fossile montre que ce dinosaure vivait dans un environnement plutôt humide ; à sa mort, son corps gisait près d’une source d’eau. En outre, l’équipe a repéré des lésions des tissus mous compatibles avec des blessures vraisemblablement causées par des prédateurs ou des charognards. Il s’agit des premiers exemples de dommages non cicatrisés causés par des carnivores sur la peau d’un dinosaure fossilisé. Ces traces prouvent que la carcasse du dinosaure a persisté dans le paysage pendant un certain temps avant son enfouissement.

Comment expliquer alors que sa peau n’ait pas pourri comme elle aurait dû ? Pour répondre à la question, les chercheurs ont combiné des preuves fossiles et des observations de carcasses d’animaux modernes. Ces dernières sont souvent vidées par les charognards et les animaux décomposeurs, qui s’attaquent aux tissus internes et laissent derrière eux la peau et les os. Les auteurs de l’étude proposent que les dommages causés à la peau de ce dinosaure auraient exposé ses entrailles, permettant à un processus similaire de se produire ; la peau et les os se sont ensuite lentement desséchés avant l’enfouissement.

Un processus courant dans la littérature médico-légale

D’après les traces de morsures – probablement causées par des anciens crocodiliens – les chercheurs estiment qu’au moins deux carnivores ont consommé des parties d’un membre et de la queue du dinosaure après sa mort. À mesure que les viscères étaient dévorés ou pourrissaient, la peau écailleuse et résistante de l’hadrosauridé était alors plus à même de sécher au soleil, formant une sorte d’enveloppe autour des os avant que l’animal ne soit enterré – ce qui explique l’aspect « dégonflé » de la peau.

« L’évacuation incomplète de la carcasse a permis aux gaz, aux fluides et aux microbes associés à la décomposition de s’échapper, permettant aux tissus mous plus durables de persister pendant les semaines ou les mois nécessaires à la dessiccation, avant l’incinération et la fossilisation », détaillent les chercheurs dans PLOS One. Ce double processus, que les auteurs appellent « dessiccation et dégonflement », est courant avec les carcasses modernes.

« C’est quelque chose qui est en fait assez prévisible dans la littérature médico-légale », a déclaré Stéphanie Drumheller, paléontologue à l’Université du Tennessee de Knoxville et première auteure de l’étude. Ceci n’avait simplement pas été envisagé dans le cas de la fossilisation des dinosaures ; ce processus explique comment les momies de dinosaures peuvent se former dans des circonstances relativement ordinaires.

Plusieurs voies possibles de momification

Les chercheurs soulignent cependant que toutes les momies de dinosaures ne se forment pas de cette façon, même si c’est la voie la plus courante ; il existe probablement d’autres voies par lesquelles un dinosaure pourrait subir un processus de momification.

Certaines momies pourraient s’être formées suite à un enterrement rapide de la carcasse, comme le pensaient les scientifiques jusqu’à présent – même si, pour l’instant, les preuves manquent pour soutenir cette théorie. D’autres peuvent s’être formées par immersion en eau profonde avec peu d’oxygène – un processus que les auteurs nomment « anoxie aqueuse » : le manque d’oxygène ralentirait le processus de décomposition, permettant à la momification de se dérouler. « L’anoxie aqueuse elle-même peut favoriser la minéralisation des tissus mous, contribuant directement au processus de fossilisation », précise l’équipe. Ce mode de conservation a été illustré par un spécimen momifié de dinosaure Borealopelta.

Cette nouvelle étude suggère ainsi qu’il pourrait y avoir beaucoup plus de peau momifiée à trouver dans les archives fossiles qu’on ne le pensait auparavant. Une véritable aubaine pour les paléontologues : « Non seulement Dakota nous a appris que des tissus mous durables comme la peau peuvent être préservés sur des carcasses partiellement dévorées, mais ces tissus mous peuvent également constituer une source unique d’informations sur les autres animaux qui ont interagi avec la carcasse », souligne Clint Boyd, paléontologue principal au North Dakota Geological Survey et co-auteur de l’étude.

L’équipe compte trouver davantage de ces spécimens momifiés pour étudier en détail les réactions chimiques mises en œuvre dans ce processus. Les chercheurs espèrent également déterminer pourquoi la plupart des restes de peau préservée découverts jusqu’à présent appartiennent à des dinosaures hadrosauridés…

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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