Nature et environnement

Climat : les points de non-retour

L'effet domino

Les experts parlent d’un « effet domino ». À mesure que notre planète se réchauffe, les différents points de basculement du système climatique se rapprochent du seuil critique. Considéré isolément, le dépassement de chacun de ces points de non-retour (fonte des calottes glaciaires, disparition des récifs coralliens, déplacement de la mousson ouest-africaine, etc.) entraînerait déjà de lourdes conséquences sur le climat mondial et les écosystèmes ; mais ces événements ont également une influence mutuelle, qui pourrait limiter ou au contraire accélérer les changements.

Selon le GIEC, un point de basculement se définit comme un changement irréversible du système climatique, à partir d’un certain seuil. Une fois ce seuil dépassé, le processus de basculement réel peut prendre plusieurs années, voire des millénaires, selon le temps de réponse du sous-système considéré. La hausse de la température globale augmente le risque qu’un ou plusieurs de ces points franchissent le seuil critique.

Mais ces sous-systèmes climatiques ne sont pas des systèmes isolés et interagissent à l’échelle mondiale. Ainsi, leurs interactions pourraient avoir « des effets stabilisateurs ou déstabilisateurs, augmentant ou diminuant la probabilité d’émergence de basculements en cascade », selon une nouvelle étude publiée dans la revue Earth System Dynamics. Les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental sont notamment des points de départ potentiels de ces effets domino.

Des interactions qui réduisent la stabilité globale du système climatique

Une équipe de chercheurs a examiné les effets des interactions physiques connues entre les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique occidental, la circulation méridienne de retournement atlantique (AMOC) et la forêt amazonienne ; en particulier, ils ont étudié le risque d’effets domino inhérent au basculement de chacun de ces sous-systèmes individuels.

Leurs analyses suggèrent que les interactions entre ces différents systèmes peuvent malheureusement abaisser les seuils critiques de température au-delà desquels chacun pourrait basculer. Et ce, même en maintenant un réchauffement global compris entre 1,5°C et 2°C comme fixé par l’Accord de Paris. « Dans l’ensemble, cela pourrait signifier que nous avons moins de temps pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en évitant les processus de basculement », souligne Ricarda Winkelmann, chercheuse au Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) et co-auteure de l’étude.

Si une fonte substantielle de la calotte glaciaire du Groenland libère de l’eau douce dans l’océan, cela peut ralentir la circulation méridienne de retournement atlantique, qui repose sur les différences de température et de salinité, et qui transporte des masses d’eau chaude depuis les tropiques jusqu’aux latitudes moyennes et polaires, explique Nico Wunderling, auteur principal de l’étude. Ce ralentissement entraînerait donc à son tour un réchauffement significatif de l’océan Austral, qui pourrait déstabiliser la calotte glaciaire antarctique à long terme. Ceci contribuerait à l’élévation du niveau de la mer, et cette montée des eaux au niveau des calottes glaciaires ne ferait que les déstabiliser davantage. C’est l’un des nombreux exemples d’effet domino qui pourrait survenir.

Les observations des dernières décennies montrent que plusieurs éléments de basculement sont déjà impactés par la progression du réchauffement climatique. Les glaces du Groenland et de l’Antarctique occidental fondent à un rythme accéléré ; il a également été démontré que l’AMOC — qui contribue largement au maintien du climat tempéré de l’Europe occidentale — a connu un ralentissement significatif depuis le milieu du 20e siècle et elle est aujourd’hui plus faible qu’elle ne l’a jamais été au cours du dernier millénaire. La forêt amazonienne subit quant à elle un risque accru de sécheresse et d’incendies, en plus de la déforestation ; à tel point que certaines zones pourraient passer de forêt tropicale à l’état de savane, précisent les chercheurs.

Wunderling et ses collègues ont exécuté plus de trois millions de simulations, en faisant varier les seuils critiques de température, les forces d’interaction entre les sous-systèmes et la structure du réseau : près d’un tiers de ces simulations montrent des effets domino à des niveaux de réchauffement planétaire allant jusqu’à 2°C. L’équipe souligne que leurs travaux constituent une étude des risques et non pas une prédiction ; il s’agit donc ici d’attirer l’attention sur ce qui pourrait se produire, mais pas de déterminer quand cela pourrait se produire. Cette étude doit surtout servir d’appui pour définir les engagements à prendre aujourd’hui pour éviter le pire aux générations futures.

Les auteurs insistent sur le fait que si nous ne réduisons pas très vite les émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement global pourrait dépasser les 3°C d’ici la fin du siècle. Or, une telle augmentation des températures entraînerait immanquablement davantage de basculements en cascade, avec des effets dévastateurs à long terme (élévation du niveau de la mer, déstabilisation des écosystèmes, etc.).

Sources : Earth System Dynamics, N. Wunderling et al. et PIK

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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