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Ndèye Fatima Dione, Miss Sénégal 2020, a été violé

"Elle l'a cherché" - La culture du viol sous les projecteurs

Un haut responsable du concours de beauté Miss Sénégal a rejeté les accusations de viol formulées par la lauréate de l’année dernière, déclenchant un vif débat dans la nation ouest-africaine sur le traitement des femmes et les attitudes rétrogrades de la société.

DAKAR – Comme mécanisme de défense, Amina Badiane n’aurait pas pu faire pire. C’est jeudi dernier, le 18 novembre, que la présidente du comité d’organisation de Miss Sénégal s’est entretenue avec Dakarbuzz, un site internet basé dans la capitale.

L’interview était l’occasion de répondre aux révélations de Ndèye Fatima Dione, Miss Sénégal 2020, qui avait révélé publiquement les violences qu’elle avait subies lors de son passage en tant que reine de beauté n°1 du pays. Sa mère avait également révélé que la grossesse de Dione était la conséquence d’un viol, commis lors d’un voyage organisé par le comité.

« Le viol se passe entre deux personnes, n’est-ce pas ? Il ne s’agit pas seulement d’un individu », a déclaré Badiane aux journalistes. « Si elle a été violée, elle doit porter plainte ». L’organisateur du concours a ajouté que lors des voyages sponsorisés par le concours, les conditions d’entrée dans les chambres des jeunes femmes sont soumises à des consignes très strictes.

Des excuses pour la culture du viol

« Personne n’est autorisé à entrer, pas même les amis. Les filles reçoivent une éducation très stricte », a déclaré Badiane. Puis après avoir demandé confirmation de ses propos à une autre candidate de Miss Sénégal, a ajouté dans la langue régionale wolof, sans que personne autour d’elle ne s’y oppose : « Kougnou violer, yaw la nekh ». Ce qui se traduit par « Si elle a été violée, c’est qu’elle l’a cherché ». Après avoir fait cette remarque scandaleuse, Badiane a gloussé, et a ajouté : « Après tout, elle est adulte. »

Le tollé suscité par les commentaires de Badiane reflète-t-il une prise de conscience croissante de la violence à l’égard des femmes ?

Il a rapidement enflammé les médias sociaux à travers le Sénégal, où les hashtags #JusticepourFatima ont proliféré. Une pétition de la plateforme « Ladies Club Sénégal », exigeait « le retrait immédiat de la licence d’exploitation de ce comité et sa dissolution. » En trois jours, elle avait déjà accumulé plus de 50 000 signatures, tandis que les appels à la démission de Badiane se multipliaient.

Dès vendredi, la société CFAO Motors Sénégal a annoncé qu’elle mettait fin à son partenariat avec le comité et qu’elle récupérait ses véhicules. « CFAO Motors Sénégal condamne fermement les allégations de la présidente du comité Miss Sénégal. De tels propos vont à l’encontre de nos valeurs », a déclaré l’entreprise dans un communiqué. Depuis, plusieurs militants ont demandé que les autres sponsors du comité soient tenus responsables, notamment les ministères de la Culture et de la Santé.

Banalisation de la violence

Si les propos d’Amina Badiane sont particulièrement consternants, il n’en reste pas moins que le fond de ses propos est partagé par une grande partie de la société sénégalaise. Nous sommes loin des progrès que certains voudraient croire accomplis, oubliant la rapidité de la société sénégalaise à trouver des excuses aux hommes et à blâmer les femmes.

« De tels propos sont tenus tous les jours au Sénégal », affirme Jerry Azilinon, administrateur du mouvement Doyna qui lutte contre les violences faites aux femmes. Selon le militant, cette attitude concerne les professionnels censés prendre en charge les victimes, les forces de police ainsi que les agents des services de santé. « La plupart d’entre eux ne sont pas formés à ces questions et ont tendance à rejeter la faute sur la victime et à faire des commentaires ironiques… ce qui contribue à banaliser la violence et à alimenter la culture du viol. »

Le tollé suscité par les commentaires de Badiane reflète-t-il une prise de conscience croissante de la violence à l’égard des femmes ? « Je ne sais pas si l’on peut parler d’amélioration, mais il y a définitivement eu une augmentation de la prise de conscience ces dernières années. Le débat sur la culture du viol est en train de se déplacer vers la sphère publique », déclare Azilinon. « Si les personnes qui tiennent de tels propos doivent faire face aux conséquences, elles réfléchiront à deux fois avant d’agir. » Faire évoluer les mentalités prendra certainement beaucoup plus de temps.

David SCHMIDT

 

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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