Monde

Saddam Hussein : De l’intervention jusqu’au procès, tout n’était qu’un mensonge

Retour sur une véritable supercherie qui a changé le cours de l’Histoire.

L’ex-Président de l’Irak Saddam Hussein à fini pendu.
Retour sur une véritable supercherie qui a changé le cours de l’Histoire.

Le 30 décembre 2006, les mains dans le dos, les chevilles liées, Saddam Hussein se tient droit et digne devant la potence. Il prie et demande qu’on remette son Coran à sa famille, chose qui sera faite. Le bourreau s’avance et lui dépose un linge autour du cou pour atténuer la douleur du choc. La trappe s’ouvre, l’ancien Président irakien meurt instantanément quelques heures avant le début de l’Aïd, fête musulmane. C’est ainsi que l’homme fort qui régna sur l’Irak depuis 1979 mourut.

Mais les coulisses de cette exécution sont remplies de manigances et de parts d’ombres. Pour tenter d’élucider cette supercherie grandeur nature, il faut remonter au début des années 90. Lorsque le 4 août 1990 l’armée de Saddam Hussein envahissait le Koweït en 48 heures, les États-Unis sonnaient le clairon. Washington dépêchait un demi-million d’hommes en Arabie saoudite pour l’opération Tempête du désert en janvier 1991. Les troupes irakiennes étaient défaites en un peu plus d’un mois.

Un demi-million d’Irakiens périssaient sous le poids des sanctions

S’ensuivait la mise en place d’un véritable embargo économique sur tout le pays. Le Pentagone et Londres décidaient de surcroît de bombarder l’Irak en 1998, détruisant les principales infrastructures du pays. Routes, ponts, centrales d’électricité, d’eau, tout y passait.

Par l’intermédiaire de la CIA, Washington créait également le média de propagande Radio Free Iraq pour promouvoir ses valeurs dites démocratiques. Malgré le plan international, proposant de la nourriture contre du pétrole, l’imposition des sanctions s’était avérée une catastrophe humanitaire pour l’Irak. Dans la décennie 90, plus de 500.000 Irakiens mouraient. Ce qui n’a pas empêché Madeleine Albright, alors représentante des États-Unis à l’Onu, d’affirmer, lors d’un entretien télévisé, que le jeu en valait la chandelle.

Mais comme si ce n’était pas assez pour Bagdad, Washington affirmait sans preuve que Saddam Hussein entretenait des liens avec la mouvance djihadiste d’Al-Qaïda*, impliquée dans les attentats du 11 septembre. Pour les États-Unis, il fallait trouver un prétexte pour chasser le président irakien.

Dès l’été 2002, Dick Cheney, le vice-président américain, déclarait qu’il « n’y a pas de doute » que Saddam Hussein, ait « des armes de destruction massive ». Mais le 5 février 2003, devant le conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire d’État américain Colin Powell alla encore plus loin dans le mensonge. Brandissant, une fiole d’anthrax, il assurait qu’il n’y avait « aucun doute que Saddam Hussein a des armes biologiques et la capacité d’en produire rapidement davantage ». Une information qui s’est révélée plus tard fausse: le rapport des services de renseignements américains déclassifié en 2015 démontrait que rien n’indiquait que Bagdad avait eu des armes de destruction massive.

La traque de Saddam Hussein

Malgré ce mensonge à la face du monde, les États-Unis débarquaient en mars 2003 en Irak avec ses alliés britanniques et australiens. Et ce, sans l’aval du Conseil de sécurité de l’Onu. La France, la Russie et la Chine s’y étant opposées. La débâcle de l’armée irakienne était totale. Mais pour les Américains, il fallait à tout prix mettre la main sur Saddam Hussein en cavale. Une récompense de 25 millions de dollars était promise à quiconque pouvait fournir toute information sur l’endroit où se cachait le Président de l’Irak.
L’un des traducteurs irakiens ayant travaillé pour les Américains revient sur la traque de Saddam Hussein:
« Environ huit mois après avoir commencé à travailler avec eux, nous avons reçu des informations, bien sûr top secrètes, dont personne n’était au courant, sur l’endroit où se cachait Saddam Hussein dans le district d’Ad-Dawr dans la province de Salah ad-Din. C’était dans une ferme, littéralement à quelques mètres du fleuve Tigre ».
Mais malheureusement pour les mouchards irakiens, ils n’ont jamais vu un centime des 25 millions de dollars.

« Mesdames et Messieurs, nous l’avons eu! Le tyran est prisonnier », c’est en ces termes que Paul Bremmer, l’administrateur en chef américain en Irak, annonçait la capture de Saddam Hussein le 13 décembre 2003. C’est alors que commençait son procès à partir de juillet 2004. Certains Irakiens voulaient qu’il soit jugé par la justice américaine, d’autres – par la Cour internationale, mais c’est finalement la justice irakienne qui s’en chargeait.

Les premières accusations portaient essentiellement sur les crimes de guerre commis par Saddam Hussein dans les années 80 envers les populations kurdes et chiites. Mais ce procès était un véritable casse-tête. Entre les pressions des anciens du parti Baas en faveur de l’accusé, les intimidations du camp adverse, l’assassinat de trois avocats de la défense, la démission d’un juge, le verdict final était rendu avant même la fin de la procédure d’appel. Peu de temps après, Rauf Rashid Abd al-Rahman, juge qui condamnait à mort l’ancien Président irakien, demandait l’asile au Royaume-Uni.

De A à Z, l’exécution de Saddam Hussein était une farce. L’Irak post-Hussein a vu le chaos s’installer et Daech émerger et prospérer.

Le pays continue ainsi de subir les conséquences de l’unilatéralisme américain. Entre le terrorisme, la milicisation de la société, la corruption endémique des élites et la perte de souveraineté, 15 ans après l’exécution, le fantôme de Saddam Hussein hante toujours l’Irak.

C’est le plus grand mensonge de l’histoire de l’espionnage – le plus meurtrier aussi. Une mystification imaginée par un quidam qui a servi de prétexte principal à l’invasion de l’Irak. Cette extraordinaire affaire est apparue au grand jour le 5 février 2003, à l’ONU.

Mensonges d’Etat, « Je préférerais mourir plutôt que proférer une inexactitude. »
George Washington.

C’est l’histoire du voleur qui crie : « Au voleur ! » Comment pensez-vous que M. George W. Bush intitula le célèbre rapport d’accusation contre M. Saddam Hussein qu’il présenta le 12 septembre 2002 devant le Conseil de sécurité de l’ONU ? « Une décennie de mensonges et de défis » (1). Et qu’y affirmait-il en égrenant des « preuves » ? Un chapelet de mensonges ! L’Irak, disait-il en substance, entretient des liens étroits avec le réseau terroriste Al-Qaida et menace la sécurité des Etats-Unis parce qu’il possède des « armes de destruction massive » (ADM) — une expression terrifiante forgée par ses conseillers en communication.

Trois mois après la victoire des forces américaines (et de leurs supplétifs britanniques) en Mésopotamie, nous savons que ces affirmations, dont nous avions mis en doute le bien-fondé (2), étaient fausses. Il est de plus en plus évident que l’administration américaine a manipulé les renseignements sur les ADM. L’équipe de 1 400 inspecteurs de l’Iraq Survey Group que dirige le général Dayton n’a toujours pas trouvé l’ombre du début d’une preuve. Et nous commençons à découvrir que, au moment même où M. Bush lançait de telles accusations, il avait déjà reçu des rapports de ses services d’intelligence démontrant que tout cela était faux (3). Selon Mme Jane Harman, représentante démocrate de Californie, nous serions en présence de « la plus grande manœuvre d’intoxication de tous les temps (4) ». Pour la première fois de son histoire, l’Amérique s’interroge sur les vraies raisons d’une guerre, alors que le conflit est terminé…

Dans cette gigantesque manipulation, une officine secrète au sein du Pentagone, le Bureau des plans spéciaux (Office of Special Plans, OSP) a joué un rôle venimeux. Révélé par M. Seymour M. Hersh, dans un article publié par le New Yorker (5), le 6 mai 2003, l’OSP a été créé après le 11 septembre 2001 par M. Paul Wolfowitz, le numéro deux du département de la défense. Dirigé par un « faucon » convaincu, M. Abram Shulsky, ce Bureau a pour mission de trier les données recueillies par les différentes agences de renseignement (CIA, DIA, NSA), afin d’établir des synthèses et les remettre au gouvernement. Se fondant sur des témoignages d’exilés proches du Congrès national irakien (organisation financée par le Pentagone) et de son président, le très contestable Ahmed Chalabi, l’OSP a énormément gonflé la menace des armes de destruction massive ainsi que les liens entre M. Saddam Hussein et Al-Qaida.

Scandalisé par ces manipulations, et s’exprimant sous le nom de Veteran Intelligence Professionals for Sanity, un groupe anonyme d’anciens experts de la CIA et du département d’Etat a affirmé le 29 mai, dans un mémorandum adressé au président Bush, que dans le passé des renseignements avaient « déjà été faussés pour des raisons politiques, mais jamais de façon aussi systématique pour tromper nos représentants élus afin d’autoriser une guerre (6) ».

M. Colin Powell a été lui-même manipulé. Et joue désormais son avenir politique. Il aurait résisté aux pressions de la Maison Blanche et du Pentagone pour diffuser les informations les plus contestables. Avant son fameux discours du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, M. Powell a tenu à lire le brouillon préparé par M. Lewis Libby, directeur du cabinet du vice-président Richard Cheney. Il contenait des informations tellement douteuses que M. Powell aurait piqué une colère, jeté les feuilles en l’air et déclaré : « Je ne vais pas lire cela. C’est de la m… (7). » Finalement, le secrétaire d’Etat exigera que M. George Tenet, le directeur de la CIA, soit assis bien en vue derrière lui, le 5 février, et partage la responsabilité de ce qui fut dit.

Dans un entretien au magazine Vanity Fair, publié le 30 mai, M. Wolfowitz a reconnu le mensonge d’Etat. Il a avoué que la décision de mettre en avant la menace des ADM pour justifier une guerre préventive contre l’Irak avait été adoptée « pour des raisons bureaucratiques ». « Nous nous sommes entendus sur un point, a-t-il précisé, les armes de destruction massive, parce que c’était le seul argument sur lequel tout le monde pouvait tomber d’accord (8). »

Le président des Etats-Unis a donc menti. Cherchant désespérément un casus belli pour contourner l’ONU et rallier à son projet de conquête de l’Irak quelques complices (Royaume-Uni, Espagne), M. Bush n’a pas hésité à fabriquer l’un des plus grands mensonges d’Etat.

Il n’a pas été le seul. Devant la Chambre des communes à Londres, le 24 septembre 2002, son allié Anthony Blair, premier ministre britannique, affirmait : « L’Irak possède des armes chimiques et biologiques. (…) Ses missiles peuvent être déployés en 45 minutes. » De son côté, dans son intervention devant le Conseil de sécurité, M. Powell déclarait : « Saddam Hussein a entrepris des recherches sur des douzaines d’agents biologiques provoquant des maladies telles que la gangrène gazeuse, la peste, le typhus, le choléra, la variole et la fièvre hémorragique. » « Nous croyons que Saddam Hussein a, en fait, reconstitué des armes nucléaires », soutenait enfin le vice-président Cheney en mars 2003 à la veille de la guerre (9).

Au cours d’innombrables déclarations, le président Bush a martelé les mêmes accusations. Dans un discours radiodiffusé à la nation, le 8 février 2003, il allait jusqu’à apporter les faux détails suivants : « L’Irak a envoyé des experts en explosifs et en fabrication de faux papiers travailler avec Al-Qaida. Il a aussi dispensé à Al-Qaida un entraînement aux armes biologiques et chimiques. Un agent d’Al-Qaida a été envoyé en Irak à plusieurs reprises à la fin des années 1990 pour aider Bagdad à acquérir des poisons et des gaz. »

Reprises et amplifiées par les grands médias bellicistes transformés en organes de propagande, toutes ces dénonciations ont été répétées ad nauseam par les réseaux de télévision Fox News, CNN et MSNC, la chaîne de radio Clear Channel (1 225 stations aux Etats-Unis) et même des journaux prestigieux comme le Washington Post ou le Wall Street Journal. A travers le monde, ces accusations mensongères ont constitué l’argument principal de tous les va-t-en-guerre. En France, par exemple, elles furent reprises sans vergogne par des personnalités comme Pierre Lelouche, Bernard Kouchner, Yves Roucaute, Pascal Bruckner, Guy Millière, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Pierre Rigoulot, etc. (10).

Les accusations furent également répétées par tous les alliés de M. Bush. A commencer par le plus zélé d’entre eux, M. José Maria Aznar, président du gouvernement espagnol, qui, aux Cortés de Madrid, le 5 février 2003, certifiait : « Nous savons tous que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive. (…) Nous savons tous également qu’il détient des armes chimiques (11). » Quelques jours auparavant, le 30 janvier, exécutant une commande formulée par M. Bush, M. Aznar avait rédigé une déclaration de soutien aux Etats-Unis, la « Lettre des Huit », signée entre autres par MM. Blair, Silvio Berlusconi et Vaclav Havel. Ils y affirmaient que « le régime irakien et ses armes de destruction massive représentent une menace pour la sécurité mondiale ».

Ainsi, pendant plus de six mois, pour justifier une guerre préventive dont ni les Nations unies ni l’opinion mondiale ne voulaient, une véritable machine de propagande et d’intoxication pilotée par la secte doctrinaire qui entoure M. Bush a répandu des mensonges d’Etat avec une outrecuidance propre aux régimes les plus détestés du XXe siècle.

Ils s’inscrivent dans une longue tradition de mensonges d’Etat qui jalonne l’histoire des Etats-Unis. L’un des plus cyniques concerne la destruction du cuirassé américain Maine dans la baie de La Havane en 1898, qui servit de prétexte à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne et à l’annexion de Cuba, Porto Rico, les Philippines et l’île de Guam.

Le soir du 15 février 1898, vers 21 h 40, le Maine fut en effet victime d’une violente explosion. Le navire sombra dans la rade de La Havane et 260 hommes périrent. Immédiatement, la presse populaire accusa les Espagnols d’avoir placé une mine sous la coque du navire et dénonça leur barbarie, leurs « camps de la mort » et même leur pratique de l’anthropophagie…

Deux patrons de presse allaient rivaliser dans la recherche du sensationnel : Joseph Pulitzer, du World, et surtout William Randolph Hearst, du New York Journal. Cette campagne reçut le soutien intéressé des hommes d’affaires américains qui avaient beaucoup investi à Cuba et rêvaient d’en évincer l’Espagne. Mais le public ne manifestait guère d’intérêt. Les journalistes non plus d’ailleurs. En janvier 1898, le dessinateur du New York Journal, Frederick Remington, écrivit de La Havane à son patron : « Il n’y a pas de guerre ici, je demande à être rappelé. » Hearst lui câbla en réponse : « Restez. Fournissez les dessins, je vous fournis la guerre. » Survint alors l’explosion du Maine. Hearst monta une violente campagne comme on le voit dans Citizen Kane, le film d’Orson Welles (1941).

Pendant plusieurs semaines, jour après jour, il consacra plusieurs pages de ses journaux à l’affaire du Maine et réclama vengeance en répétant inlassablement : « Remember the Maine ! In Hell with Spain » (Souvenez-vous du Maine ! En enfer l’Espagne !). Tous les autres journaux suivirent. La diffusion du New York Journal passa d’abord de 30 000 exemplaires à 400 000, puis franchit régulièrement le million d’exemplaires ! L’opinion publique était chauffée à blanc. L’atmosphère devint hallucinante. Pressé de partout, le président William McKinley déclara la guerre à Madrid le 25 avril 1898. Treize ans plus tard, en 1911, une commission d’enquête sur la destruction du Maine devait conclure à une explosion accidentelle dans la salle des machines (12)…

Manipulation des esprits

En 1960, en pleine guerre froide, la Central Intelligence Agency (CIA) diffusa auprès de quelques journalistes des « documents confidentiels » démontrant que les Soviétiques étaient en passe de remporter la course aux armements. Immédiatement, les grands médias commencèrent à faire pression sur les candidats à la présidence et à réclamer à cor et à cri une substantielle augmentation des crédits de la défense. Harcelé, John F. Kennedy promit de consacrer des milliards de dollars à la relance du programme de construction de missiles balistiques de croisière (the missile gap). Ce que souhaitaient non seulement la CIA, mais tout le complexe militaro-industriel. Une fois élu et le programme voté, Kennedy devait découvrir que la supériorité militaire des Etats-Unis sur l’Union soviétique était écrasante…

En 1964, deux destroyers déclarent avoir été attaqués dans le golfe du Tonkin par des torpilles nord-vietnamiennes. Aussitôt, la télévision, la presse en font une affaire nationale. Crient à l’humiliation. Réclament des représailles. Le président Lyndon B. Johnson prend prétexte de ces attaques pour lancer des bombardements de représailles contre le Nord-Vietnam. Il réclame du Congrès une résolution qui va lui permettre, dans les faits, d’engager l’armée américaine. La guerre du Vietnam commençait ainsi, qui ne devait s’achever — par une défaite — qu’en 1975. On apprendra plus tard, de la bouche même des équipages des deux destroyers, que l’attaque dans le golfe du Tonkin était une pure invention…

Même scénario avec le président Ronald Reagan. En 1985, il décrète soudain l’« urgence nationale » en raison de la « menace nicaraguayenne » que représenteraient les sandinistes au pouvoir à Managua, pourtant élus démocratiquement en novembre 1984 et qui respectaient à la fois les libertés politiques et la liberté d’expression. « Le Nicaragua, affirme cependant M. Reagan, est à deux jours de voiture de Harlingen, Texas. Nous sommes en danger ! » Le secrétaire d’Etat George Schultz affirme devant le Congrès : « Le Nicaragua est un cancer qui s’insinue dans notre territoire, il applique les doctrines de Mein Kampf et menace de prendre le contrôle de tout l’hémisphère (13) … » Ces mensonges vont justifier l’aide massive à la guérilla antisandiniste, la Contra, et déboucheront sur le scandale de l’Irangate.

On ne s’étendra pas sur les mensonges de la guerre du Golfe en 1991, largement analysés (14) et demeurés dans les mémoires comme des paradigmes du bourrage de crâne moderne. Des informations constamment répétées — comme « L’Irak, quatrième armée du monde », « le pillage des couveuses de la maternité de Koweït », « la ligne défensive inexpugnable », « les frappes chirurgicales », « l’efficacité des Patriot », etc. — se révélèrent totalement fausses.

Depuis la victoire controversée de M. Bush à l’élection présidentielle de novembre 2000, la manipulation de l’opinion publique est devenue une préoccupation centrale de la nouvelle administration. Après les odieux attentats du 11 septembre 2001, cela s’est transformé en véritable obsession. M. Michael K. Deaver, ami de M. Rumsfeld et spécialiste de la psy-war, la « guerre psychologique », résume ainsi le nouvel objectif : « La stratégie militaire doit désormais être pensée en fonction de la couverture télévisuelle [car] si l’opinion publique est avec vous, rien ne peut vous résister ; sans elle, le pouvoir est impuissant. »

Dès le début de la guerre contre l’Afghanistan, en coordination avec le gouvernement britannique, des centres d’information sur la coalition furent donc créés à Islamabad, Londres et Washington. Authentiques officines de propagande, elles ont été imaginées par Karen Hugues, conseillère médias de M. Bush, et surtout par Alistair Campbell, le très puissant gourou de M. Blair pour tout ce qui concerne l’image politique. Un porte-parole de la Maison Blanche expliquait ainsi leur fonction : « Les chaînes en continu diffusent des informations 24 heures sur 24 ; eh bien, ces centres leur fourniront des informations 24 heures par jour, tous les jours (15) … »

Le 20 février 2002, le New York Times dévoilait le plus pharamineux projet de manipulation des esprits. Pour conduire la « guerre de l’information », le Pentagone, obéissant à des consignes de M. Rumsfeld et du sous-secrétaire d’Etat à la défense, M. Douglas Feith, avait créé secrètement et placé sous la direction d’un général de l’armée de l’air, Simon Worden, un ténébreux Office de l’influence stratégique (OIS), avec pour mission de diffuser de fausses informations servant la cause des Etats-Unis. L’OIS était autorisé à pratiquer la désinformation, en particulier à l’égard des médias étrangers. Le quotidien new-yorkais précisait que l’OIS avait passé un contrat de 100 000 dollars par mois avec un cabinet de communication, Rendon Group, déjà employé en 1990 dans la préparation de la guerre du Golfe et qui avait mis au point la fausse déclaration de l’« infirmière » koweïtienne affirmant avoir vu les soldats irakiens piller la maternité de l’hôpital de Koweït et « arracher les nourrissons des couveuses et les tuer sans pitié en les jetant par terre (16) ».Ce témoignage avait été décisif pour convaincre les membres du Congrès de voter en faveur de la guerre…

Officiellement dissous après les révélations de la presse, l’OIS est certainement demeuré actif. Comment expliquer sinon quelques-unes des plus grossières manipulations de la récente guerre d’Irak ? En particulier l’énorme mensonge concernant la spectaculaire libération de la soldate Jessica Lynch.

On se souvient que, début avril 2003, les grands médias américains diffusèrent avec un luxe impressionnant de détails son histoire. Jessica Lynch faisait partie des dix soldats américains capturés par les forces irakiennes. Tombée dans une embuscade le 23 mars, elle avait résisté jusqu’à la fin, tirant sur ses attaquants jusqu’à épuiser ses munitions. Elle fut finalement blessée par balle, poignardée, ficelée et conduite dans un hôpital en territoire ennemi, à Nassiriya. Là, elle fut battue et maltraitée par un officier irakien. Une semaine plus tard, des unités d’élite américaines parvenaient à la libérer au cours d’une opération surprise. Malgré la résistance des gardes irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l’hôpital, à s’emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït.

Le soir même, le président Bush annonça à la nation, depuis la Maison Blanche, la libération de Jessica Lynch. Huit jours plus tard, le Pentagone remettait aux médias une bande vidéo tournée pendant l’exploit avec des scènes dignes des meilleurs films de guerre.

Mais le conflit d’Irak s’acheva le 9 avril, et un certain nombre de journalistes — en particulier ceux du Los Angeles Times, du Toronto Star, d’El País et de la chaîne BBC World — se rendirent à Nassiriya pour vérifier la version du Pentagone sur la libération de Jessica. Ils allaient tomber de haut. Selon leur enquête auprès des médecins irakiens qui avaient soigné la jeune fille — et confirmée par les docteurs américains l’ayant auscultée après sa délivrance -, les blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville déboîtée) n’étaient pas dues à des tirs d’armes à feu, mais simplement provoquées par l’accident du camion dans lequel elle voyageait… Elle n’avait pas non plus été maltraitée. Au contraire, les médecins avaient tout fait pour bien la soigner : « Elle avait perdu beaucoup de sang, a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et nous avons dû lui faire une transfusion. Heureusement des membres de ma famille ont le même groupe sanguin qu’elle : O positif. Et nous avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Son pouls battait à 140 quand elle est arrivée ici. Je pense que nous lui avons sauvé la vie (17) . »

En assumant des risques insensés, ces médecins tentèrent de prendre contact avec l’armée américaine pour lui restituer Jessica. Deux jours avant l’intervention des commandos spéciaux, ils avaient même conduit en ambulance leur patiente à proximité des lignes américaines. Mais les Américains ouvrirent le feu sur eux et faillirent tuer leur propre héroïne…

L’arrivée avant le lever du jour, le 2 avril, des commandos spéciaux équipés d’une impressionnante panoplie d’armes sophistiquées surprit le personnel de l’hôpital. Depuis deux jours, les médecins avaient informé les forces américaines que l’armée irakienne s’était retirée et que Jessica les attendait…

Le docteur Anmar Ouday a raconté la scène à John Kampfner de la BBC : « C’était comme dans un film de Hollywood. Il n’y avait aucun soldat irakien, mais les forces spéciales américaines faisaient usage de leurs armes. Ils tiraient à blanc et on entendait des explosions. Ils criaient : “Go ! Go ! Go !” L’attaque contre l’hôpital, c’était une sorte de show, ou un film d’action avec Sylvester Stallone (18) . »

Les scènes furent enregistrées avec une caméra à vision nocturne par un ancien assistant de Ridley Scott dans le film La Chute du faucon noir (2001). Selon Robert Scheer, du Los Angeles Times, ces images furent ensuite envoyées, pour montage, au commandement central de l’armée américaine, au Qatar, et une fois supervisées par le Pentagone, diffusées dans le monde entier (19).

L’histoire de la libération de Jessica Lynch restera dans les annales de la propagande de guerre. Aux Etats-Unis, elle sera peut-être considérée comme le moment le plus héroïque de ce conflit. Même s’il est prouvé qu’il s’agit d’une invention aussi fausse que les « armes de destruction massive » détenues par M. Saddam Hussein ou que les liens entre l’ancien régime irakien et Al-Qaida.

Quarante ans de guerre et de mensonges en Irak

Le Dimanche31 Janvier 2021, quatre épisodes dans une même soirée pour un documentaire exceptionnel qui nous emmène de la guerre Iran-Irak à l’avènement de Daech, pour se souvenir et essayer de comprendre.

A revoir sur les archives de France 5 : IRAK, DESTRUCTION D’UNE NATION.
C’était le :DIMANCHE 31 JANVIER, 20H50 FRANCE 5

C’etait un rendez-vous à ne pas manquer. « Irak, destruction d’une nation », est une série documentaire diffusée sur France 5 ce dimanche. Une soirée spéciale qui permet de se replonger dans un drame historique qui se prolonge aujourd’hui. Ce documentaire, en quatre épisodes de 52 minutes, nous ramène quarante ans en arrière. A une époque où Saddam Hussein, qui dirigeait l’Irak, était dans les petits papiers des pays occidentaux, à commencer par la France. Peu importait alors la répression menée contre les opposants. L’achat d’armes effaçait tout. Jacques Chirac, alors Premier ministre, faisait le déplacement à Bagdad et recevait Saddam à Paris. Lorsqu’en 1979 le Shah est chassé du pouvoir en Iran, les États-Unis reportent leurs espoirs régionaux sur ce même Saddam qu’ils poussent à entrer en guerre contre l’ennemi perse. Fort de ce soutien et malgré sa défaite face à l’Iran, Saddam Hussein al Tikriti, de son vrai nom, va commettre une erreur fatale, en 1990, en envahissant le Koweït. La guerre du Golfe va éclater dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui, pour l’Irak mais également pour le monde entier.

Ancien rédacteur en chef d’« Envoyé spécial », Jean-Pierre Canet a travaillé 3 ans pour réaliser ce film qui se suit presque comme un thriller, de cette guerre Iran-Irak à l’avènement de l’État islamique. C’est aussi le pouvoir des images toujours impressionnantes dans des situations de guerre et qui, souvent, ont tendance à occulter les réalités politiques. Ce n’est pas le cas ici, grâce à des témoignages inédits de personnalités de premier plan, qui ont contribué ou au contraire tenté d’enrayer cette descente aux enfers. Il s’agit entre autres de responsables américains (John Bolton, Paul Bremer, David Petraeus…), irakiens (Nouri Al Maliki, Massoud Barzani…) ou français (François Hollande, Bruno Le Maire, Roland Dumas, Jean-Pierre Chevènement…).

Il est toujours intéressant de se remémorer de tels moments. Parce qu’ils permettent de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui et rafraîchit les mémoires. Ainsi, en 1990, pour préparer l’opinion publique à la guerre, les télévisions occidentales répercutent sans aucune vérification les témoignages d’infirmières koweïtiennes accusant les soldats irakiens d’avoir sorti des bébés des couveuses et de les avoir déposés à même le sol. Des mensonges prononcés pour gagner l’opinion publique sur des bases humanitaires et pas politiques. Ou encore en 2003 s’agissant des armes de destruction massive qu’aurait détenu Saddam. En 1999 pour mener la guerre contre Milosevic, des mensonges aussi terribles ont été colportés, les soldats serbes étant accusés d’éventrer les femmes kosovares enceintes. On pourrait rajouter qu’en 2011, contre Mouammar Kadhafi, les choses les plus invraisemblables ont également été développées pour lancer la guerre en Libye. Il est toujours utile de s’en souvenir.

Ce film, qui emprunte aux codes narratifs et aux techniques développées par des grands noms du documentaire historique, sera disponible pendant 60 jours sur France.tv.

Ivres de pouvoir, M. Bush et son entourage ont trompé les citoyens américains et l’opinion publique mondiale. Leurs mensonges constituent, selon le professeur Paul Krugman, « le pire scandale de l’histoire politique des Etats-Unis, pire que le Watergate, pire que l’Irangate (20) ».
Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.

(1) Voir le document
(2) Lire : « De la guerre perpétuelle », Le Monde diplomatique, mars 2003.
(3) Cf. International Herald Tribune, Paris, 14 juin 2003, et El País, Madrid, 1er et 10 juin 2003.
(4) Libération, Paris, 28 mai 2003.
(5) Seymour M. Hersh, Selective Intelligence, repris sur le site : http://www.commondreams.org/views03…
(6) Veteran Intelligence Professionals for Sanity, Memo For : President Bush, repris sur le site : http://www.counterpunch.org/vips020…
(7) Cf. International Herald Tribune, 5 juin 2003.
(8) Press Release : US Department of Defense, Wolfowitz Interview with Vanity Fair’s Tannenhaus, repris sur le site : http://www.scoop.co.nz/mason/storie…
(9) Time, 9 juin 2003.
(10) Cf. Le Figaro, 15 février 2003 ; Le Monde, 10 et 20 mars 2003. Lire aussi Anna Bitton, « Ils avaient soutenu la guerre de Bush », Marianne, 9 juin 2003. Maintenant que le mensonge est avéré, le silence de ces personnalités surprend…
(11) El País, 4 juin 2003.
(12) http://www.herodote.net/histoire021…
(13) « Entretien avec Noam Chomsky », Télérama, 7 mai 2003.
(14) Cf. La Tyrannie de la communication, Gallimard, col. « Folio actuel », n° 92, Paris, 2001.
(15) The Washington Post, 1er novembre 2001.
(16) Cette fausse infirmière était la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington, et son faux témoignage avait été imaginé et rédigé, pour le cabinet Rendon Group, par Michael K. Deaver, ancien conseiller en communication du président Reagan.
(17) El País, 7 mai 2003.
(18) John Kampfner, Saving Private Lynch story ’flawed’, BBC, Londres, 18 mai 2003.
(19) Los Angeles Times, 20 mai 2003. Consulter aussi : http://www.robertscheer.com/
(20) The New York Times, 3 juin 2003.

David SCHMIDT

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

Articles similaires

Donnez-nous votre avis sur cette article !

Bouton retour en haut de la page