Histoire

« Je ne sais pas combien m’ont violée, je me suis évanouie »

Des milliers de femmes à avoir été violées durant le conflit du Kosovo

Elles sont des milliers de femmes à avoir été violées durant le conflit du Kosovo:

 Désormais éligibles à une allocation de victimes de guerre, il leur faudra vaincre l’omerta imposée par les familles.

Aujourd’hui âgée de 41 ans, Z. était étudiante en pédagogie quand en mai 1999 des membres des forces armées serbes l’ont enlevée avec sa soeur de 18 ans, dans le centre du Kosovo. Elles ont été amenées dans un entrepôt agricole d’un village serbe.

« Ils ont bu, chanté, joué de la musique avant de se tourner vers nous. Je ne sais pas combien m’ont violée parce que je me suis évanouie lors du premier viol », raconte-t-elle à l’AFP. Quand elle est revenue à elle, sa jeune soeur pleurait doucement à ses côtés. Les violeurs étaient partis.

Les organisations de défense des droits de l’Homme estiment que durant le conflit entre indépendantistes kosovars albanais et forces serbes (1998-99, 13.000 morts), quelque 20.000 filles et femmes ont été violées. Mais cette culture du silence rend impossible tout recensement précis.

Le viol, considéré comme une tâche sur l’honneur familial

Il aura fallu près de 20 ans pour que les institutions kosovares commencent début 2018 à leur verser une allocation mensuelle de 230 euros au titre de victimes de guerre.

Plus de temps sera nécessaire pour que la plupart la demandent. Seuls environ 600 dossiers ont été déposés, et 115 victimes, dont Z., ont jusqu’à présent obtenu cette allocation. Leur identité est gardée secrète.

Les proches de Z. lui ont longtemps demandé de se taire. Comme pour des centaines d’autres, parler, c’était courir le risque d’être ostracisée dans une société patriarcale où le viol est considéré comme une tache sur l’honneur familial.

« Je n’ai pas engagé cette procédure pour l’argent. Il ne peut pas apaiser la douleur. Je l’ai fait parce que c’est la première reconnaissance officielle que je suis une victime de guerre », « la première occasion de partager mon fardeau avec quelqu’un d’extérieur à ma famille », dit-elle.

« En cachant le viol, elles violent une seconde fois les victimes »

« La marque d’infamie et la honte restent extrêmement dissuasifs (…) Elles empêchent les victimes de parler librement de leur traumatisme ou de réclamer justice », dit Behxhet Shala, directeur du Conseil kosovar pour la défense des droits humains et des libertés, qui évoque « un tabou du silence aussi puissant que l’omerta ».

« Les femmes violées sont non grata dans leurs familles, et par conséquent dans la société », renchérit Selvije Izeti Carkaxhiu, psychologue qui conseille des victimes.

« Les familles ont choisi le silence comme meilleur moyen de gérer la question… En cachant le viol, elles violent une seconde fois les victimes », dénonce Feride Rushiti, qui dirige le Centre kosovar de réadaptation des victimes de torture (KRCT). « L’isolement et le silence n’aident que les violeurs », poursuit-elle.

La passivité des autorités dénoncée par la société civile

Avant de disparaître fin 2017, le tribunal pénal international de La Haye pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), n’a condamné que trois hauts responsables serbes pour avoir usé d’atteintes sexuelles comme d’un outil d’épuration ethnique et de persécution durant la guerre du Kosovo.

« Par l’humiliation des femmes, ils cherchaient à affaiblir le moral du mouvement de résistance albanais », selon Behxet Shala.

Quant aux tribunaux kosovars, ils n’ont pas prononcé une seule condamnation depuis la fin de la guerre, selon l’Humanitarian Law Center, ONG spécialisée sur les crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie. Les trois procédures engagées se sont soldées par autant d’acquittements, précise Amnesty International.

Cette question « est une des plus graves blessures qui continue d’affecter une grande partie de la société kosovare », a récemment reconnu le vice Premier ministre, Behgjet Pacolli. Mais la passivité des autorités a été dénoncée par la société civile.

Le jour où la société la traitera en victime

La loi instituant l’allocation remonte de 2014. Mais le processus d’enregistrement n’a débuté que quatre ans plus tard. « Le plus important est d’avoir lancé le processus. Il ne s’agit pas d’argent (…) mais d’avoir une autre approche des victimes de violences sexuelles pendant la guerre qui apaisera leur douleur », dit Minire Begaj, directrice de la commission qui décide de l’octroi des allocations.

Diverses ONG regrettent aussi que seules les femmes violées avant juin 1999 sont éligibles. Ce qui selon elles exclut de facto les Serbes victimes de membres de la guérilla kosovare albanaise après le retrait des forces de Belgrade.

Z. attend le jour où la société la traitera en victime: « Je ne trouverai l’apaisement que quand je me sentirai libre de dire haut et fort que j’ai été violée. Et qu’on ne devrait pas me traiter comme coupable au même titre qu’un violeur, mais comme quelqu’un à qui il faut demander pardon ».

David SCHMIDT

Journaliste reporter sur Davidschmidt.fr. Chroniqueur radio sur Form.fr.

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